Chapitre 12

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Maison des Descamps - 1963

      Il était enfin rentré, une semaine s'offrait à lui et il ne lui restait plus qu'un paragraphe et la conclusion de son devoir sur le respect des femmes à faire. Une fois cela acté, il pourrait sortir au cinéma avec les autres et se changer les idées. Sa grand-mère l'avait levé tous les jours à 4h30 du matin, le poussant à faire les tâches ménagères et à s'occuper du poulailler dehors. Joseph détestait les gallinacés depuis que le coq l'avait pourchassé dans le jardin alors qu'il n'avait que 5 ans. En raison de son œil en moins, il fit beaucoup de bourdes ce qui donna l'occasion à la vieille femme de le surnommer "l'incapable". La tendresse et la sur-protection de Suzanne lui manqua cruellement durant sa semaine là-bas. Ce fut donc tout naturellement qu'une fois dans son champ de vision, il la prit dans ses bras en soupirant de soulagement. Certes, elle n'avait pas conscience du concept de vie privée, se mêlait de tout et l'infantilisait, mais ce n'était rien comparé à la vie dans la Creuse en tant que bras droit de Josette Descamps. La mère du coupable l'autorisa à emprunter la radio jusqu'à la reprise des cours exceptionnellement. Elle savait qu'une fois entre les murs de Voltaire, son cher petit en baverait encore. Pour cette femme de la génération précédente, ce n'était qu'un caprice, du cinéma ce coup bas envers les gentils camarades de Joseph. Les demoiselles auraient dû être reconnaissantes de susciter ce genre d'intérêt auprès des adolescents qui se disputaient pour élire leurs favorites. La première du classement devait se sentir privilégiée avec retenue et continuer ses efforts pour plaire et ainsi trouver un prétendant rapidement. Quant aux autres, elles n'avaient qu'à prendre exemple et s'améliorer. Ce n'était qu'une affaire d'hommes après tout... Il ne fallait pas le prendre si sérieusement.
Joseph profita que son père soit absent durant les vacances pour demander à sa mère de l'argent de poche et se balader avec Dupin - Vergoux étant privé de sortie pendant un mois. Il retrouva Jean devant chez lui, un sourire triomphant sur les lèvres. Sortant un billet de sa poche.
"Tu veux aller voir quoi ?"
Une fois devant le cinéma et leur choix effectué, les deux comparses se mirent à fumer en se racontant mutuellement ce qu'ils avaient enduré. Pendant que Dupin expliquait la crise de nerf de ses parents et du traitement auquel il eut droit, Joseph se tendit d'un coup. Étonné de rencontrer Hadler et Palladino qui quittait l'établissement. Visiblement très occupées à débattre sur ce qu'elles venaient de voir. Son ami se retourna sur les filles, agacé.
"Dire que c'est de leur faute à ces idiotes." cracha Dupin.
Lorene qui vérifiait qu'elles pouvaient traverser, cessa toute activité.
"Regarde, Simone."
Palladino jugea sans vergogne le duo qui les fixait en tirant sur leurs cigarettes.
"On ferait mieux de rentrer en vitesse, où ils risquent de venir nous embêter."

Résidence des Hadler - 1963

      Lorene se préparait à prendre son bain, assise en face du miroir, défaisant sa coiffure du jour. Elle congédia Jane puis ôta sa robe, ne restant qu'en jupon tandis que sa chevelure retombait sur sa poitrine dénudée. La chaine ne pendait plus entre ses seins, Frédéric l'avait surprise avec et lui avait gentiment ordonné de garder sa bague de fiançailles à l'annulaire droit. Tous devaient savoir qu'elle lui appartenait. Ce qui lui fendait le cœur, le bijou se baladait sous ses yeux constamment. Lui rappelant qu'à la fin du lycée, elle devrait devenir la femme d'un homme dont elle ne supportait même pas le toucher. Son reflet lui renvoyait la mine d'une jeune lycéenne mélancolique, dépourvue de plan afin d'éviter ce qui se profilait à l'horizon. Le film l'avait détourné momentanément d'une tristesse et d'une colère sourde qui grondaient et croissaient. Elle regarda son calendrier. Dimanche. Et elle n'avait pas eu le plaisir de trouver Descamps en sa demeure. Encore déçue de ses agissements, elle n'osait se tourner mentalement vers lui. Par peur de lui pardonner trop vite. Il eut été agréable de lui expliquer la situation avec son fiancé et qu'elle puisse s'excuser de l'avoir presque mis dehors l'autre fois. L'anglaise ne souhaitait qu'une chose, que tout soit clair entre eux. Qu'il n'y ait plus de place pour les fantasmes et les quiproquos. L'ordre devait être rétabli. C'était sans compter son esprit sadique qui lui rappela - dépourvu de tact - la manière qu'avait eu le jeune homme de la faire danser. Elle sentait à nouveau ses mains passer de son dos à sa taille, qui la caressait inconsciemment à certains moments. Et la sensation qu'elle avait à son contact de face. De ce souffle dans sa nuque. L'étrangère frissonna et se leva sans ménagement. Se déshabillant avant de plonger dans la baignoire. Si elle gardait la tête sous l'eau, elle n'aurait plus de souvenirs aussi ardents de leur dernière entrevue secrète, ni de désir qui la pousserait à se transformer en véritable Bovary*.

The devil's heart - Joseph Descamps Mixte 1963Où les histoires vivent. Découvrez maintenant