Lycée Voltaire - 1963
Annick Sabiani troublait ses amis, elle arrivait 5 minutes après la sonnerie au lycée, essoufflée. Son humeur n'allait pas en s'arrangeant et elle devint bientôt désagréable, malgré l'attitude adorable d'Hadler qui tentait tant bien que mal de sourire. Descamps ne lui avait pas adressé un regard ni la parole depuis l'autre jour. Alors qu'elle voulait dissiper le malentendu, lui se bornait à l'ignorer magnifiquement. N'hésitant pas à lui donner un coup d'épaule pour qu'elle libère le passage. La victime de ces actes glacials ne comprenait pas ce qu'on lui reprochait pour subir cela. En agissant ainsi, elle savait qu'il alimentait involontairement la colère de Michèle Magnan à son égard. Que Jean-Pierre ait fini par rester dans l'établissement ne l'avait guère diminué.
Résidence des Hadler - 1963
A la fin de la semaine, Lorene invita Annick à travailler chez elle afin d'en profiter pour lui tirer les vers du nez et découvrir la raison de ses multiples retards. Elles se concentrèrent toutes deux sur l'exposé. La blonde s'était présentée mardi soir à Jonathan et Katherina qui la trouvèrent fort aimable et de bonne fréquentation. Aujourd'hui, elles allaient terminer le devoir. Il suffisait simplement de trouver un argument d'autorité pertinent à placer dans leur conclusion. Alors les demoiselles se mirent à décortiquer les paragraphes de l'ouvrage, lisant en diagonale aussi vite qu'elles le pouvaient. Elles débâtèrent à la sélection. Une fois cela fait, Lorene put briser l'ambiance académique afin de renouer avec leur timide lien d'amitié.
"Tu peux me dire maintenant pourquoi tu es toujours la dernière à passer les grilles ?"
Annick soupira et avoua qu'on lui avait dérobé son précieux Solex et que sa mère n'avait pas l'argent pour lui en racheter un neuf. Bien entendu elle minimisa le problème, se plaignant peu du long trajet qu'elle effectuait matin et soir. Hadler fut choquée.
"Il fallait me le dire, tu souhaites que j'envoie un chauffeur te chercher et te ramener ? Je suis sûre que nous pouvons faire quelques ménages chez les voisins pour obtenir la somme le plus rapidement possible !" elle s'emballait dans des explications sans fin.
"Ça va aller, je trouverais une solution - c'est très aimable de ta part de vouloir faire ça mais je vais me débrouiller.
- Tu en es sûre ? Plus le temps va passer et plus cela risque d'affecter tes notes, ton énergie...
- Oui, merci."
Sabiani avait esquissé un sourire, reconnaissante d'avoir une oreille attentive à qui s'adresser. De son côté, l'hôte ne put s'empêcher de faire une liste des camarades qui avaient la possibilité de lui venir en aide. Elle ouvrit de grands yeux en visualisant Pichon. Il serait ravi de donner un coup de main à celle qui le rendait incroyablement nerveux.
"Tu vas commencer à organiser le soutien ?" demanda la blonde, histoire de changer de sujet.
"Il faut que j'organise les groupes, ceux du mardi et ceux du jeudi en fonction de leurs niveaux et que je dresse une liste des leçons à revoir. Techniquement cela devrait aller, ils ne sont pas trop nombreux sinon ce serait ingérable. Leur progression respective serait moindre.
- Une partie des crétins est intéressée ou tu vas avoir droit au calme ?
- Vergoux va venir, Dupin a obtenu pile la moyenne et souhaite d'abord travailler de son côté. Je lui ai assuré qu'il serait toujours le bienvenu si besoin. Mais hors de question qu'il soit avec son ami, ils ne seront pas au maximum de leur concentration.
- Et Descamps ?"
Annick déchiffra l'expression de malaise qui traversa fugacement le visage de Lorene.
"Comment pourrait-il s'inscrire s'il ne me parle pas ?" dit-elle en se tenant les mains.
"Pourtant il est mauvais, très mauvais.
- Je sais, j'ai entendu son accent et ai directement eu de l'urticaire." La jeune femme se frotta les bras en grimaçant et émit un rire nerveux.
L'invitée fixait Hadler afin qu'elle la regarde honnêtement dans les yeux.
"Il s'est passé quelque chose pour qu'il t'ignore de la sorte ?"
La question resta en suspend un moment avant que l'anglaise ne se décide à répondre.
"À vrai dire je ne peux que faire des hypothèses. Il est venu chez moi dimanche dernier - c'est une longue histoire - et il a découvert pour ceci. Depuis tu vois comme il est." elle avait ôté la chaîne de son cou, passant à sa camarade la bague de fiançailles qui y pendait.
"Oh, alors il voulait...
- Tu penses que...
- Oui." murmura Annick. "Il pensait qu'il te plaisait et qu'il avait sa chance ce jour-là, peu importe ce que vous faisiez."
Lorene se leva brusquement et jeta un œil à la fenêtre, une main devant la bouche. C'était tellement naïf venant de la part d'un garçon si mesquin, calculateur. Cruel.
"Si c'est vrai, je ne sais pas si je dois rire ou non. Ils pensent tous que l'on va directement céder et les embrasser au premier ou second rendez-vous ?
- Rendez-vous ?
- Enfin tu me comprends, entrevues ? Visites ? Oh non plus j'avance et plus j'ai l'impression de parler d'une aventure moralement questionnable." elle se tue un instant avant de reprendre. "Ce que je veux dire c'est qu'il ne m'intéresse qu'en tant qu'ami, rien d'autre."
Annick rangea ses affaires sans quitter Hadler qui fixait l'extérieur.
"Au moins il arrêtera de t'embêter avec ses remarques et comportements douteux."
Hadler l'accompagna à l'entrée, la salua gentiment avant de rejoindre sa chambre afin de se préparer pour le dîner. Assise à sa coiffeuse, elle dénoua sa chevelure qui tombait le long de son dos sans se détacher de son reflet. À présent troublée de sa confession. Elle posa une main sur sa poitrine. N'était-il pas attiré par la jolie blonde du premier rang ? Comme la plupart des autres ? Lorene fit la liste des adjectifs péjoratifs qu'il avait employé à son encontre jusque là et elle dut admettre qu'ils ne concernaient pas son physique. Puis elle se remémora ses propres paroles, comprenant là où était le problème. Rien que de le laisser s'introduire dans la résidence en secret pouvait troubler un homme, supposa t-elle. Alors lui intimer de lui apprendre le rock, l'inviter à nouveau, elle et lui dans une pièce à l'écart tandis que ses proches s'absentaient... La lycéenne cacha son visage derrière ses mains. Gênée. Soudainement consciente de ce qu'elle lui avait mis dans le crâne.Au milieu de la nuit, faisant une insomnie, elle mit sa robe de chambre épaisse, ses pantoufles et ouvrit l'une des portes vitrées qui menait au balcon. Une question qu'elle n'osait se poser restait en suspend, l'assaillant alors que l'envie de dormir était là. C'était de la torture. Elle imaginait Joseph lui murmurant à l'oreille : "et si tu avais eu vent de mon envie de t'embrasser, est-ce que l'invitation aurait toujours été d'actualité, Hadler ?". Elle frissonna en raison de la température et des choses que son esprit faisait naître. Lors de sa sortie ce soir là avec Frédéric, l'attitude de Descamps quand il quitta le manoir la travaillait encore et elle n'était pas très attentive à ce qu'il pouvait dire - moins que d'habitude en tout cas. A la table du restaurant qu'il avait réservé, la cadette des Hadler ne cessait de tripoter sa serviette ou de faire tournoyer le contenu de son verre d'un air absent. Ce que son fiancé avait interprété comme un signe discret qu'elle ne souhaiterait plus remettre les pieds ici à l'avenir - quelque chose ne devait pas lui convenir. L'homme d'une vingtaine d'années s'efforça de faire la conversation. Récompensé occasionnellement par des phrases simples qui plussoyaient ses dires. Il l'avait ramené en silence, lui souhaitant bonne nuit en embrassant sa main droite, là où elle arborait la merveilleuse bague qu'il avait acheté une fortune. Dès que la voiture fut assez loin, Lorene entra en vitesse et se lava les mains - ôtant le bijou en un tour de passe-passe. Elle ne ressentait rien pour lui. Frédéric, un ami de son beau-frère, l'avait courtisé au début de ses 15 ans, dès qu'il sut que Lawrence cherchait un prétendant pour sa dernière fille. En raison de son rang, de sa fortune et sa réputation de gendre idéal, il avait gagné le cœur du patriarche en un éclair sous les recommandations du mari de Fanny. Son physique était certes agréable mais sa personnalité laissait à désirer. Il avait un côté maniaque et n'hésitait pas à reprendre Lorene furtivement selon ce qu'elle disait où comment elle se comportait. De surcroît, il jugeait qu'une femme qui lisait trop ne serait pas une femme accomplie car elle passerait trop de temps à imaginer. Or il fallait rester alerte aux demandes et besoins de son époux en tout temps et à toute heure. Ses discours sur ce que devait faire sa future épouse ou non étaient mortels. Donc à ce rendez-vous là, Hadler préférait largement se torturer en revoyant les expressions de Descamps.
Suite à de longues minutes dans le froid, elle se décida à rentrer, déconnectée de la réalité. La jeune femme avait la réponse à sa question..........................................................
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Bien à vous, Camille
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The devil's heart - Joseph Descamps Mixte 1963
Romance1963 - Le premier lycée ouvre ses portes aux jeunes femmes, faisant preuve de modernité dans un monde en éternelle évolution. 12 demoiselles se sont armées de détermination afin d'obtenir leur diplôme et ainsi briser les codes d'une société qui les...