Chapitre 13

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Résidence des  Hadler - 1963

     Lorene rayonnait de joie, les cours de soutien se passaient à merveille et elle renouait peu à peu avec ses camarades masculins. Une partie d'entre eux s'était excusée en chœur avec le trio qui était à l'origine du classement. La punition supplémentaire qu'ils devaient effectuer devint rapidement un jeu pour Vergoux qui initia Dupin à faire de même. Ils ouvraient à ces dames avec de grands gestes théâtraux et prenaient un air pincé en apportant leurs déjeuners chaque jour au restaurant scolaire. Monsieur Bellanger se retenait de rire en voyant les effets de sa morale sur les secondes 1 qui devinrent les clowns du lycée. Descamps lui, restait en retrait le plus possible. 
"Vous ne voulez pas arrêter de vous comporter comme des bouffons pour ces filles ?" demanda t-il, debout face à ses amis allégrement affalés sur leur banc. 
"Quitte à être punis autant s'amuser non ? Ça fait pas mal rire Palladino d'ailleurs, elle est mignonne, non ?
- Charles tu me donnes la nausée. Ferme là."
Joseph était étrangement irritable le reste de cette semaine là. Pichon manqua de tomber en se prenant les pieds dans les racines de l'un des arbres et il n'eut pas un sourire en le voyant. Il s'agitait beaucoup en classe, sa jambe tremblait sous la table le long de la journée et cela empirait alors que le week-end - la chose la plus fantastique une fois au lycée - approchait à grands pas. Jean se posait des questions pendant que Charles continuait d'amuser les demoiselles avec son personnage de valet pompeux. Il remarqua comment Descamps fuyait Hadler du regard quotidiennement. Quelque chose clochait. Alors le vendredi soir devant les grilles, Dupin prit la parole en baissant la voix pour interroger son meilleur ami. Celui-ci le fixa comme s'il pouvait lire en lui.
"Ça se voit tant que ça ?
- Oui, c'est plutôt évident depuis mercredi. Qu'est-ce qui te prend ?"
Le borgne s'éclaircit la gorge, il allait prendre la parole mais la vision d'Hadler qui partait seule chez elle le bloqua. Dupin suivit son regard, troublé.
"Il se passe un truc avec elle ? Pourtant elle ne vient plus t'emmerder.
- Non, non rien. Juste je dois bosser comme un dingue pour remonter ma moyenne.
- Va au soutien avec Charles alors."
Joseph hésitait à lui avouer qu'il avait déjà un cours de prévu ce dimanche avec leur camarade qui agissait bizarrement. Après le classement, il pensait qu'elle le détesterait et qu'il avait ruiné ses chances par fierté. Peu importait qu'elle ait ou non un fiancé. Elle n'en voulait pas et s'était rapproché de lui. Durant les vacances, il avait pensé à elle et admettait sans honte qu'il espérait qu'elle lui pardonne à son retour. Ses agissements particuliers qui l'avaient énervé le flattaient intérieurement. Lorene lui avait proposé son aide, prête à enterrer la hache de guerre. Elle avait envie de passer un nouveau dimanche avec lui ? Soit, il serait bon seigneur et irait. Descamps avait tout à y gagner, un tête à tête avec la lycéenne, des leçons gratuites et si elle avait passé assez de temps avec son prétendant pour en être dégoûtée, il pourrait peut-être espérer un nouveau rapprochement. Leur entraînement sur un air de rock n'avait pas manqué de lui traverser l'esprit une fois dans le grand lit en bois ancien qui craquait pour un oui ou pour un non dans la maison de campagne appartenant à sa grand-mère. Le jeune homme souhaitait faire profil bas, tâter le terrain et voir s'il pouvait retenter sa chance. Et s'il venait à croiser Frédéric, il lui suffirait de jouer au gentil élève studieux inintéressé par sa future femme. Dieu seul savait à quel point c'était faux. Lorene avait le don de lui faire traverser une flopée d'émotions diverses et variées. Par moment il ne supportait plus de la voir, arborant sa bague clinquante au doigt, affichant son sourire hypocrite.  Et cela changeait en un instant, lorsqu'il entrapercevait sa véritable nature, tapie sous une couche écœurante de fausse politesse, mimant bêtement ce qu'on lui avait appris. Sous la pluie le jour du match, il l'avait trouvé si attirante, franche. Dénuée d'artifices qui la faisait grimacer au quotidien. Durant le soutien ce week-end, Joseph voulait l'interroger. Il lista mentalement ce qu'il pouvait lui demander sans que cela ne soit trop brutal et indiscret. A l'instant où il fut satisfait de son plan, il salua Dupin et prit le chemin du retour vers la maison.

The devil's heart - Joseph Descamps Mixte 1963Où les histoires vivent. Découvrez maintenant