Lycée Voltaire - 1964
L'ensemble des garçons de seconde 1 recommençait à se comporter bizarrement - au grand dam de monsieur Bellanger. Il avait remarqué l'agitation dans la matinée sans deviner de quoi il s'agissait. Michèle Magnan et Annick Sabiani aperçurent en passant les grilles ce jour-là comment Descamps, accompagné de Dupin avaient refusé que Felbec entre aux toilettes. Et Yves Lamazière avait manqué de les accrocher en criant qu'il avait l'argent. L'argent pour quoi ? Annick en parla à Lorene lors du cours de français. Celle-ci se tourna en fronçant les sourcils vers son petit-ami qui semblait fébrile, en pleine discussion avec ses amis.
"Qu'est-ce qu'il trafique encore ?"
L'anglaise cherchait en sa mémoire une bribe de conversation où il évoquait une dette de Lamazière. Mais rien ne lui revenait. Il fallait qu'elle trouve un instant pour l'interroger. Elle ne voulait pas qu'il soit encore mêlé à une affaire du même genre que le classement des filles. Le groupe de Joseph fut visé par les remontrances de leur enseignant et ils ne se privèrent pas de rire à la réponse idiote de Jean Dupin. Mentionner les salons au lieu des salons littéraires ne fit que sourire son voisin qui repensait - lui - plutôt au canapé où il avait enlacé Hadler. La bande allait le charrier pendant plusieurs jours. De son côté, Michèle les observait, intriguée par leurs manigances. Au cours de madame Giraud, Lamazière fut forcé de sortir en dernier et une étrange queue se forma devant les toilettes à la récréation. Le couple avait décidé d'un commun accord de limiter les interactions au sein de l'établissement scolaire, histoire de ne pas trop attirer l'attention. Cependant Joseph forçait Lorene à transgresser cette règle. Avec le culot et l'assurance des filles bien nées, elle avança vers l'encadrement de la porte où le trio infernal montait la garde. Décidément, ils avaient un soucis avec les sanitaires pour que l'ensemble - ou presque - de leurs opérations stupides s'y déroulent.
"Tu peux me dire ce qu'il se passe ? Vous avez tout changé en café-spectacle là-dedans ?
- Écrase Hadler, ça ne concerne pas les filles."
Un des secondes les sépara en sortant, refermant sa braguette au passage. L'étrangère releva le regard en le plantant dans l'œil de Descamps, haussant les sourcils.
"Ne me dis pas que...
- On a pas le temps pour toi alors dégage." dit-il en analysant la file, saisissant une poignée de centimes.
La jeune fille attendit qu'il se tourne à nouveau vers elle, ses yeux voulant dire "Joseph dans quel pétrin es-tu encore en train de te mettre ? C'est répugnant." et lui répondait "Je t'expliquerais alors barre toi."Lors du déjeuner, l'anglaise remarqua l'attitude de Michèle vis-à-vis d'Alain Laubrac, cette façon de chercher un contact visuel puis de le fuir... Elle la connaissait parfaitement. Touchée par les émois que vivaient son ancienne amie, Hadler ressentait à présent le besoin de se confier et de retrouver un lien terni par l'attitude de celui qui partageait sa vie. Cependant avec la magouille qu'il fomentait aujourd'hui, les risques qu'il dégringole de plus belle dans l'estime de Magnan n'aidait pas. Pourtant, elle souhaitait que la fille du boucher réalise que - aussi tordu que pouvait être Joseph - il possédait une part de lui-même qui pouvait être appréciée. De surcroît, Sabiani n'était pas fan des histoires de cœur - elle évitait le sujet Pichon dès que Hadler le mentionnait. Et Simone Palladino ne laissait jamais sa camarade en placer une tant elle s'épanchait sur son Eugène, alors qu'elle était la seule fille de son entourage avec qui elle aurait pu discuter de Descamps. Interdite, Lorene garda ses distance le reste de la journée avant que la vérité sur le commerce de Joseph et ses compagnons ne soit révélé en cours d'anglais. La pauvre madame Couret n'était pas au bout de ses peines en enseignant à Voltaire. Les remarques de leurs camarades masculins dégoûtèrent la jeune fille qui comprenait le sens des paroles qu'ils proféraient en ricanant. Les cours d'éducation au devoir conjugal que Katherina lui avait enseigné servaient maintenant à saisir l'immonde plan du borgne. L'immaturité dont il pouvait faire preuve au lycée la décevait, il suffisait que Joseph soit avec Jean et Charles pour que les idées les plus débiles voient le jour. Et tous étaient persuadés - à chaque fois - que c'était le fruit d'un cerveau incroyable.
Monsieur Bellanger fut mis au courant de la fièvre que occasionnait un magazine pour adultes au sein de la classe, ayant malencontreusement atterri sur la table de sa nièce. Qui pouvait avoir amené ceci ? Les noms des plus terribles se déroulaient sous ses yeux, fatigué à l'avance de rédiger les bulletins de retenues ou pire. Une tension entre les divers groupes de garçons manqua d'éclater à la pause. Lasse des actions de Descamps, Lorene décida de le laisser se débrouiller. Après tout ce n'était pas son problème.
Henri Pichon annonça à la sortie que la classe serait en retenue chaque jeudi du trimestre. Ne souhaitant écouter davantage de tout cela, l'étrangère se mit en route pour le manoir en soupirant après avoir salué Annick dont le visage s'était crispé en apercevant au loin la présence d'un parasite.Résidence des Hadler - 1964
Plus tard dans la soirée, quelqu'un téléphona et Lorene dut s'absenter un instant du dîner afin de répondre. C'était la voix de son petit-ami à l'autre bout du fil qui murmurait dans le combiné.
"Tu m'en veux ? Le magazine n'est pas à moi, c'est à Jean.
- Peu importe. C'est dégoûtant de faire ce genre d'acte dans un lycée ! Vous êtes des animaux ? Tu as fait ça toi aussi ?
- Je ne suis pas comme ces crétins, je tiens à mon intimité.
- Alléluia." lâcha t-elle avec sarcasme.
Joseph souffla.
"Tu es fâchée ?
- Fatiguée plutôt. Quand arrêteras-tu d'agir sans réfléchir aux conséquences ? Pour une poignée de centimes en plus ! Navrée de dire cela mais vous n'avez eu aucune dignité aujourd'hui. Et vous pensiez que cela allait durer ? Que vous gagneriez une fortune ? Si c'est pour ta radio, je peux l'acheter."
Hadler tentait de trouver un terrain d'entente et de calmer le jeu. Cependant elle oubliait l'ego et la fierté masculine dont son interlocuteur pouvait faire preuve. Et cette dernière phrase l'avait vexé.
"Je n'ai pas besoin qu'une minette bourgeoise m'entretienne.
- Pardon ? Pourtant cela ne te dérange pas de te faire payer le train et de profiter du phonographe chez la minette. Ou que sa famille rembourse ta tenue et t'invite, te loge et te nourrisse à loisir...
- Tu as oublié la partie où je suis aussi libre de te prendre."
Elle sentait le sourire mesquin, méchant qu'il avait et son attitude la figea sur place.
Joseph senti qu'il était allé trop loin mais elle l'avait tant agacé avec son discours moralisateur ! Il ne voulait pas avouer qu'il était affecté de l'avoir déçu et les valeurs que son père lui avait inculqué étaient ressorties brusquement. Aucune femme ne devait lui marcher sur les pieds. Le jeune homme voulu se rattraper cependant elle avait déjà raccroché. Il laissa ses bras retomber le long de son corps. Leur première vraie dispute était violente. Il s'était comporté comme un imbécile.
VOUS LISEZ
The devil's heart - Joseph Descamps Mixte 1963
Romance1963 - Le premier lycée ouvre ses portes aux jeunes femmes, faisant preuve de modernité dans un monde en éternelle évolution. 12 demoiselles se sont armées de détermination afin d'obtenir leur diplôme et ainsi briser les codes d'une société qui les...