Chapitre 16

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Maison des Descamps - 1963

Joseph rentra d'une journée de cours banale et déposa son devoir d'anglais avec la désinvolture qui le caractérisait depuis l'enfance. Sous le regard étonné et fier de sa mère qui put lire en haut de la feuille un merveilleux 13.5. Le lycéen se permit de prendre un billet dans le porte-monnaie de Suzanne, déclarant qu'il ne rentrerait pas trop tard avec un sourire rayonnant, trop heureux d'être à nouveau libre de sortir au gré de ses envies dès que monsieur Descamps était aux abonnés absents. Il se dirigea non sans empressement chez les Hadler avec la volonté de remercier convenablement celle qui l'avait sauvé d'un jour de plus sans la possibilité de quitter la maison. Également afin de la taquiner sur les événements de l'infirmerie. Il la visualisait rougissante, fronçant les sourcils en pestant à son encontre. Trompée par les manigances de son camarade.
Une fois la porte massive passée, il fut conduit dans le petit salon où les ailes qui le poussaient à foncer vers Lorene se déplumèrent. Un détail lui avait échappé. Il avait quitté le lycée trop rapidement pour voir la somptueuse voiture de Dubaunet récupérer sa fiancée et la ramener ici. Frédéric était assit dans un fauteuil en velours, surveillant sa montre avec impatience. Les deux hommes se fixèrent avant de se saluer. L'exaltation qui avait émané de Joseph le trahissait encore, faisant tiquer la jalousie et la possessivité vorace du fiancé qui masqua son déplaisir par un sourire empoisonné. Hypocrite. Il invita Descamps à s'asseoir et fit une blague sur le fait que, visiblement, il y avait une salle d'attente avant d'obtenir une entrevue avec la demoiselle. Le seconde s'autorisa à l'interroger, souhaitant savoir ce qu'elle faisait.
"Elle se change, une activité propre aux femmes n'est-ce pas ? Pour un oui ou pour un non. Et je me languis des heures durant."
Frédéric se leva, animé du besoin de comprendre pourquoi le raté du dimanche s'invitait chez les Hadler un vendredi soir. Il se posta au bas de l'escalier, haussant la voix afin que sa promise l'entende depuis sa chambre sans adopter un ton trop autoritaire.
"Ma puce, dépêche toi la pièce débute à 19h !"
Joseph sortit de sa manche son misérable billet chiffonné, brutalement ramené à une réalité autre que la sienne. Elle sortait et c'était au bras de ce bouffon désagréable. Du bruit résonna dans les marches qu'il avait tant monté, presque chaque week-end depuis son retour au lycée. Il quitta le salon et se mit à quelques pas de Frédéric. Suivant son regard avant d'entrouvrir la bouche de stupéfaction. L'anglaise portait une robe du soir pour le théâtre, s'était fait une coiffure fort élégante et arborait un maquillage fin et délicat qui la vieillissait d'au moins trois ans. Lorsque la jeune femme remarqua la présence de celui qui avait manqué d'obtenir d'elle son premier baiser, elle ne put s'empêcher d'être troublée et manqua de tomber en ratant une marche. Dubaunet la rattrapa.
"Tu peux être si empotée parfois."
Descamps manqua de lui lancer une phrase cinglante avant de voir Lorene se diriger dans sa direction. Souriant tandis que Frédéric ne pouvait le deviner.
"Félicitations pour ta note, madame Couret doit être fière de tes progrès."
Oh comme il regrettait lui aussi qu'elle ne l'ait pas embrassé dans la bibliothèque.
"Merci, à vrai dire je venais te remercier et t'inviter au cinéma avec les autres mais tu as quelque chose de prévu on dirait."
Hadler sentait cette amertume teintée de déception qu'elle ne connaissait pas chez lui.
"Je suis libre demain soir, il y aura Charles, Jean et les filles je suppose ?" demanda t-elle assez fort pour désamorcer immédiatement les ardeurs de son fiancé derrière.
Joseph saisit le mensonge et en rajouta une couche, faisant mine de râler sur le fait que Vergoux n'avait jamais de monnaie pour les snacks et qu'il serait obligé de céder afin de satisfaire son ami. Ils s'accordèrent sur l'heure et le lieu de rendez-vous commun.
"Entendu, à demain Descamps."
Et pendant que Frédéric lui prenait la main, la tirant le plus loin possible de ce délinquant peu fréquentable, Lorene jeta à Joseph un dernier regard traduisant son bonheur d'avoir un complice et comme elle avait hâte de se trouver dans une salle coupée du monde. Rêvant déjà de son bras sur ses épaules.

The devil's heart - Joseph Descamps Mixte 1963Où les histoires vivent. Découvrez maintenant