Résidence des Hadler - 1963
Fanny Buhaut arriva ce dimanche matin avec un enthousiasme qui lui rappelait le temps où elle était encore libre. Elle jubilait à l'idée de revoir Lorene, d'en apprendre davantage sur le lycée. Elle qui s'était uniquement limitée à l'obtention du certificat d'études, privée de poursuivre son parcours académique à cause d'un mariage de convenance organisé par Lawrence Hadler. Plus les années passaient et plus une forme d'affection s'était créée entre elle et son époux. Alors elle ne s'inquiétait pas pour sa cadette au fiancé plus que convenable. Frédéric avait des défauts cependant il était évident aux yeux de Fanny qu'il tenait déjà énormément à Lorene. Dépensant sans compter, faisant des kilomètres afin de lui rendre visite. La femme mariée l'avait remarqué, le type de regard qu'il lui lançait constamment, sa manière de toujours avoir un contact physique avec elle. Comme s'il en ressentait le besoin.
Madame Buhaut désirait renforcer ses liens fraternelles et remplir sa liste d'invités à la soirée de fin d'année qu'elle organisait un an sur deux, l'occasion était parfaite. A présent que sa sœur avait de véritables amis, Fanny avait en tête de l'autoriser à être accompagnée d'un petit groupe. Elle savait combien il pouvait être ennuyeux de passer la nuit entourée des collaborateurs et autres collègues des hommes de la famille. De se forcer à converser avec les femmes des cadres, directeurs et autres éminents membres de telle société, telle compagnie ou entreprise aux noms barbants et arrogants. Il lui était possible de lister les sujets abordés, les questions les plus communément posées. La nouvelle voiture, le nouvel appareil à la mode ou l'inévitable interrogation à propos des enfants. Fanny nourrissait une compassion immense à l'égard de Lorene qui n'était - à ses yeux, encore qu'une enfant. Même si elle ne pouvait plus profiter des joies de la jeunesse depuis que Frédéric avait manifesté un intérêt pour sa personne.
L'ainée frappa chez Jonathan avec entrain et se précipita à l'intérieur dès que Jane tira la porte. Demandant à mi-voix où se trouvait la lycéenne. Son impatience la trahissait tant elle était agitée. La domestique l'invita à patienter en bas et lui servit un café, en attendant qu'elle prévienne sa maîtresse.Lycée Voltaire - 1963
Joseph somnolait en classe, des cernes sombres et profondes creusaient son visage. Les maux de tête de cette nuit l'avaient empêché de s'endormir tôt et une douleur le lançait sous sa paupière gauche. Suzanne avait évidemment fait l'inspection ce matin, ne trouvant aucune cause au malheur de son enfant. Elle l'avait laissé se rendre à Voltaire à contrecœur. La journée serait longue... Descamps décida de se rendre à l'infirmerie avant le déjeuner, tant pis s'il arrivait dans les derniers pour manger, il lui était impossible de se concentrer avec une barre en travers du crâne. L'effervescence de ce jour-là le poussa à se montrer désagréable avec l'ensemble des élèves. Il ne comprenait pas, ne saisissait pas ce qui les rendait aussi agaçants. En plein cours de français, l'étudiant eut l'autorisation de se rendre chez madame Bellanger, accompagné de Dupin. L'infirmière lui donna de quoi soulager la douleur momentanément et, remarquant sa mine épuisée, lui ordonna de garder le lit jusqu'au premier cours de l'après-midi. Dans le cas où son état ne s'améliorerait pas, elle contacterait madame Descamps sur le champ.
Le borgne s'allongea sans se plaindre, priant silencieusement qu'il puisse retrouver les doux bras de Morphée et qu'à son réveil tout redevienne normal. Il lui arrivait de fantasmer sur un lendemain dans un corps de nouveau valide. Dépourvu de ce qu'un œil en moins lui faisait subir.
Joseph fut réveillé par la porte qui se refermait délicatement, aveuglé quelques secondes par la terrible lumière du ciel gris, la voix de Jeanne Bellanger se mêla à celle d'une des secondes. Il remit à la hâte le bandeau qui se cachait sous l'oreiller avant de réaliser qui était là. Lorene prenait de ses nouvelles, pensant qu'il était encore en plein repos. Une pulsion soudaine le poussa à faire semblant de dormir alors qu'elle s'approchait, un sourire empreint de tendresse sur les lèvres. Elle saisit une chaise non loin et s'assit près du lit avant de sortir un ouvrage de son sac. Lisant sans grande attention. Car elle ne tournait aucune page. Jeanne Bellanger sortit le temps de fumer une cigarette. Alors une fois la porte close, Hadler rangea sa diversion ridicule. Passant une main dans les cheveux en bataille de Descamps, murmurant qu'elle espérait qu'il se remette au plus vite. Elle se pencha en avant, déposant un baiser innocent sur sa joue droite, non loin des grains de beauté qu'il arborait au coin de sa bouche.
"J'aurais tant aimé t'embrasser dimanche, pardonne moi."
Une fois cela fait, Lorene se leva en frissonnant, réalisant l'audace dont elle avait fait preuve. Peu importait qu'il soit réveillé ou non. Elle emporta son sac en se précipitant dehors. Laissant derrière elle, flotter dans l'air ambiant une trace discrète de son passage. L'effluve que Joseph avait respiré dans son cou au moment fatidique où la possibilité d'une concrétisation physique de leurs fantasmes ne se produise. Avant qu'elle ne se dérobe à lui. Empourprée, encore plus désirable que si elle lui avait cédé. Hadler s'était assise et avait remis sa bague en silence. Adoptant une pose classique : celle de l'étudiante qui lisait son manuel. Un peu déçu mais compréhensif, Descamps avait rejoint la table en reprenant son exercice là où il en était. Une poignée de secondes plus tard, dans un timing parfait, Jane avait toqué - bien que les portes restaient toujours ouverte afin que les domestiques puissent surveiller leur maîtresse. Une visite, et ce n'était pas monsieur Dubaunet. Joseph avait eu la chance de croiser madame Buhaut, d'un naturel bavard et extraverti forgé par des années en Société. Possédant une élégance et un charisme qui naissait progressivement chez sa jeune sœur. Il le reconnaissait.Depuis ces frôlements, ces caresses et cette tension délicieusement abominable, de ce souvenir d'une étreinte contre les étagères qui présentaient du Beckett, du Shakespeare et autres dramaturges anglophones - Joseph ne trouvait plus le sommeil réparateur dont il avait tant besoin ces derniers temps. Il sentait ce corps plus frêle que le sien, transi d'une émotion qu'elle ne saurait nommer et ce cœur au rythme désordonné qui réclamait officieusement qu'il l'embrasse alors qu'ils étaient si éloignés l'un de l'autre. Dans des demeures en tout point différentes. Au sein de murs qu'ils comparaient à des murailles infranchissables. Descamps soupirait, sans se départir de ce poids invisible contre son torse.
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Je suis heureuse de l'avancée de l'histoire, tout se déroule comme prévu et nous avançons peu à peu vers des instants cruciaux de la vie de nos protagonistes.
Je vous remercie pour votre fidélité, vos lectures quotidiennes des chapitres, vos votes, vos commentaires et vos messages privés qui me font chaud au cœur. J'espère sincèrement que vous resterez jusqu'au dénouement de cette romance qui se dévoile à vous chaque semaine.
Je suis impatiente de vous partager mes écrits et ce, même si je me force à garder des brouillons en stock au cas où je n'aurais pas le temps d'écrire. De mon côté, le chapitre 20 risque de m'accaparer un moment ! D'ici là, n'hésitez pas à me partager vos avis et réactions, vos impressions sur les personnages et leurs problèmes. Et sur ce que vous pensez qu'il risque de se passer, qui sait ? Puissiez-vous trouver la vérité au milieu de vos théories !
Bien à vous, Camille
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The devil's heart - Joseph Descamps Mixte 1963
Romance1963 - Le premier lycée ouvre ses portes aux jeunes femmes, faisant preuve de modernité dans un monde en éternelle évolution. 12 demoiselles se sont armées de détermination afin d'obtenir leur diplôme et ainsi briser les codes d'une société qui les...