Chapitre 7

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Résidence des Hadler - 1963

     Le dimanche soir, Lorene passa une partie de la nuit à ressasser la fameuse visite surprise, heureuse d'avoir vécu un moment banal avec un camarade sans que personne ne sache quoi que ce soit. Ces deux heures avec Joseph Descamps étaient siennes. Il n'y aurait pas d'interrogatoire. Entre eux, l'ambiance était naturelle, détendue. Elle appréciait leurs accrocs. Le voir débiter avec une répartie cinglante, c'était profondément rafraîchissant dans ce monde où tous prenaient des pincettes à cause de son nom de famille. Il osait même lui demander s'il avait ses chances avec Annick. Ce qu'elle avait évidemment trouvé hilarant. Après tout, l'intellectuelle ne se souciait guère des garçons et encore moins des immatures vicieux. Joseph avait levé un sourcil suite à ces qualificatifs et assénait qu'une bourge coincée, paradoxalement doublée d'une grande gueule n'était pas plus attirant que ses travers à lui. Et elle riait sous ses draps. Il n'avait pas tout à fait tort. Elle le reconnaissait.
Le borgne s'était plaint de son besoin de radio, ou de tourne-disque, il hésitait encore sur quoi prendre. L'un lui apportait une flopée de possibilités musicales, l'autre lui assurait d'écouter ce qu'il aimait autant de fois que nécessaire, cependant il fallait aligner les billets à chaque vinyle... La jeune anglaise lui avait conseillé la radio, financièrement moins gourmande. Ce qui résoudrait au passage les multiples remontrances de madame Descamps. Elle promit de lui montrer le phonographe se trouvant dans le bureau d'oncle Jon s'il venait un dimanche matin car ils s'absentaient pour la messe. Joseph manifesta beaucoup d'enthousiasme à cette idée - satisfait d'obtenir à nouveau un moment aux côtés d'une fille, ajouté à la hâte de découvrir la discographie à sa portée. Lorene ne cessait de vanter les mérites des artistes anglais qui tournaient et grimpaient en popularité. Fière de ses origines. Elle voulait apprendre à danser le rock - ce que son professeur particulier refusait. Pour une jeune femme comme elle, les danses de salon étaient plus importantes. Ce n'était pas en société que l'on bougeait sur ces musiques barbares. Joseph avait sauté sur l'occasion, insinuant que cela pouvait se faire s'ils en avaient la possibilité.
Hadler était ravie, comblée. Soudain elle se redressa. Elle avait oublié d'appeler Michèle !


Lycée Voltaire - 1963

     Toujours posté au même endroit, Descamps ne se privait pas de rire des autres accompagné de Dupin et Vergoux. Pichon arborait un pull moche - selon les goûts de ces messieurs, il était donc une cible facile en ce lundi matin. Le groupe évacuait tout leur dégoût de retourner au lycée sur leur camarade qui n'avait jamais cherché les problèmes. Et ce depuis l'entrée au collège. Henri Pichon avait du mal à l'assumer, lors des épreuves du certificat d'études il avait secrètement prié que ce grand crétin le loupe. Ainsi, il aurait pu être avec Felbec et Applebaum à Voltaire sans cette ombre désagréable qui ne manquait jamais une occasion de le rabaisser. De l'humilier. Seule Annick Sabiani le distrayait assez pour soulager le quotidien pesant.
Les secondes 1 appréhendaient chaque heure. Les enseignants rendaient les contrôles des derniers jours. Le temps se dégradait. C'était le début de l'enfer. En français, monsieur Marcelin proposa de faire des exposés en duo. Descamps souffla, avec Dupin il allait devoir réellement travailler. Là où avec un des intellos il aurait pu déléguer. Son regard se posa sur Hadler et Sabiani dont la réussite n'avait pas à être questionnée. C'était injuste.
     La semaine passa et les têtes tombaient une à une, provoquant un élan de désespoir chez la plupart des secondes. Joseph soufflait toute la journée, il avait une brochette de résultats passables. Ou juste mauvais selon la matière. Dès qu'il rentrait à la maison, il cachait les feuilles sous son matelas. Si sa mère s'en mêlait il risquait d'exploser. Le jour où ils eurent anglais, Lorene fit un sans-faute - il s'agissait de sa langue natale après tout. D'autres s'étaient monstrueusement ratés. Un éclair de génie la traversa en entendant les soupirs exaspérés de ses pairs. Il fallait l'accord de son oncle et le soutien de madame Couret - ce n'était pas totalement impossible. Une fois qu'il était temps de quitter le lycée, l'étrangère déambula de groupe en groupe, présentant l'ébauche de cours de soutien chez elle, les mardis et jeudis une fois l'exposé sur leurs lectures communes révolu. Michèle Magnan accepta sans hésiter. Cela lui donnerait l'occasion de discuter des problèmes que rencontrait son frère, de passer davantage de temps avec une amie et d'obtenir une moyenne acceptable. Madame Couret était derrière Hadler, soulagée de les voir s'entraider, elle partagea une bibliographie adaptée aux différents niveaux qui composaient sa classe. Si Jonathan opinait à l'évocation du cours de langue en sa demeure, il n'hésiterait pas à financer celui-ci. Leur nom se diffuserait aux alentours et leur générosité plus encore.

     À la sortie, Alain Laubrac discutait en fumant avant de se diriger vers Descamps dont les amis venaient de partir dans une direction opposée à la sienne. Le cancre n'était franchement pas d'humeur à parler au type de l'assistance, il s'apprêtait à le dépasser en l'ignorant royalement jusqu'à ce qu'il soit retenu par l'épaule.
"J'ai pas d'argent pour t'aider, va faire la manche ailleurs.
- Je voulais te parler de ton comportement vis-à-vis d'Hadler."
Au simple nom de l'anglaise, Descamps devina où Laubrac voulait en venir. Il prit une cigarette du paquet planqué dans la doublure de son manteau, là où ses parents ne jetteraient jamais un œil et garda le silence. Préparant sa défense.
"Tu devrais t'excuser, elle va finir par savoir ce que tu faisais après le cours de sport."
Joseph eut un sourire l'espace d'une seconde, regarda le sol avant de fixer le lycéen. Il mit un masque glacial, cachant sa gêne.
"C'est une menace ?
- Pas le moins du monde, c'est la vérité. Peut-être que je ne suis pas le seul à t'avoir grillé ? Tu la trouves mignonne, non ? Tu risques de tout gâcher en gardant ça pour toi si un autre te balance."
Le borgne pouffa. De quoi est-ce qu'il se mêlait celui-là ?
"T'es dépourvu de parents mais pas d'humour visiblement."
Il termina sa cigarette et fit mine de l'éteindre sur le bras de Laubrac avant de l'écraser à terre en riant.
"Reste à ta place, bouffon."
Sur ces paroles acides, le duo se sépara. L'un désespéré face à tant de bêtise et l'autre, ruminant la conversation. Il était difficile d'admettre que le paria avait raison. Pour les excuses en tout cas. Cependant sa relation avec la jeune femme commençait tout juste de naitre et aborder le sujet entre deux morceaux la prochaine fois ne serait pas idéal. Joseph se questionna intérieurement. Elle ne lui plaisait pas. Ce n'était qu'une fille parmi une pluralité d'autres. Elle était juste celle dont il était actuellement le plus proche. Il était sûr qu'en abordant les filles des autres classes, les idées farfelues de Laubrac disparaitraient. Cela aurait pu être n'importe quelle camarade dans la salle des équipements et il aurait quand même profité de l'instant... Pas vrai ? Bon, si elle était moche, non. Si c'était Sabiani pourquoi pas, Palladino ? Mouais. Magnan aucune chance. Sur la route qui le menait à la maison, il tentait de lister les filles de la seconde 1 de la plus belle à la moins belle et bien qu'il n'y ait que 4 candidates, les placer en ordre était moins évident qu'il ne le pensait. Il prit la décision qu'il fallait les avis de ses comparses le plus tôt possible. Alors lundi matin ils organiseraient des votes. Sans mettre les filles au courant.

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Je poste en avance car je ne vais pas être disponible à 17h !

Comment s'est passé votre week-end ?
Que pensez-vous du plan de Joseph avec son classement des filles de seconde 1 ? Vous sentez les problèmes arriver ?

Je vous retrouve mardi pour un nouveau chapitre ♡

Bien à vous, Camille

The devil's heart - Joseph Descamps Mixte 1963Où les histoires vivent. Découvrez maintenant