Chapitre 20

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Musiques du chapitre : 

A sparrow alighted upon our shoulder de Johannsson

If you love me de Melody Gardot

Résidence principale des Buhaut - 1963

     Annick se leva et mit sa robe épaisse, ses bas et des chaussures d'intérieures qu'elle avait emmené et soigneusement lavé au préalable. Elle se coiffa et descendit vers la salle à manger. La table était couverte d'un petit-déjeuner à volonté et des fauteuils situés près d'une cheminée l'attendaient. La demoiselle fut étonnée de constater qu'elle était dans les derniers à se joindre au groupe. Ils se saluèrent tandis qu'elle s'installait à côté de Lorene. Sabiani savoura un chocolat chaud près du feu uniquement troublée par le bruit des pages de journal que Jonathan tournait. La matinée fut paisible et l'énergie alla crescendo plus le temps passait. Fanny bataillait avec les diverses livraisons qui s'enchainaient, ayant passé commande aux producteurs alentours afin d'avoir des produits frais pour le buffet de ce soir. Son époux gérait les domestiques et l'agencement de la salle avec le soutien d'oncle Jon. Tandis que Katherina emmena les adolescents à l'étage. Joseph se retrouva dans la même pièce que les filles, séparée par des paravents regroupés sur les indications de leur hôte. Dès son réveil, il avait appréhendé de revoir Lorene et de savoir si elle avait réalisé son intrusion de la veille. En ayant conscience de sa présence derrière la fine couche de tissus et de bois des séparations, il était terriblement nerveux. Malgré cela il tentait de participer aux conversations de ces dames, riait avec elles. Il fut prêt en premier et patienta. Un bruit le tira de ses pensées alors qu'il observait son reflet dans le miroir. Hadler avait écarté de quelques centimètres leur muraille de fortune, passant le haut de son corps, corseté et à moitié couvert d'un voile histoire que moralement, cela convienne. Cette vision troubla le jeune homme rêveur. 
"Moi aussi, j'ai une surprise pour toi." murmura t-elle. 
Elle tendit de sa main gauche, arborant la bague argentée sertie d'un petit grenat qu'il avait spécifiquement choisi, une pochette en soie de la nuance de vert qui aimait tant. Il coopéra afin de la glisser correctement dans la poche de son costume. Irradiant d'une joie et d'une affection ragaillardie. Descamps la remercia chaleureusement et profita que Sabiani et Dumas soient obnubilées par le nouage du dos d'une des robes en déposant un chaste baiser sur les lèvres de l'anglaise. Celle-ci reprit sa tâche une fois le paravent replacé.

     Les invités allaient arriver d'une minute à l'autre, Joseph s'était trouvé un coin tranquille dans la bibliothèque du rez-de-chaussée et discutait des nouvelles compétitions sportives qui débuteraient au printemps avec monsieur Buhaut. Il n'avait pas eu le courage d'attendre les lycéennes dans une salle où on l'isolait. Et il tenait aussi à apercevoir sa cavalière une fois totalement couverte - il n'était pas récalcitrant à la contempler en tenue légère à l'instar de tout à l'heure mais il serait plus agréable que personne ne soit en leur présence, évidemment.
     Frédéric entra tout fringant dans un smoking gris anthracite, pressé de danser avec sa fiancée et de revoir des connaissances de toujours. Il fit une accolade au mari de Fanny et dit brièvement bonjour à Descamps.
"Encore à se préparer ? J'espère que la tenue de Lorene est à la hauteur de mes espérances."
Joseph roula un œil, jurant de passer le plus de temps possible avec elle. Priver Dubaunet de sa partenaire serait une douce farce et une marque de soutien envers Hadler, voulant la protéger des remarques horripilantes de ce vicieux personnage. Les hommes débâtèrent des derniers résultats des différentes équipes aux championnat de France de football, ce qui ennuya l'étudiant. Il aurait pu parler de handball ou de basket-ball, pas de ce sport barbant.
Fanny prit place, belle comme le jour et fit la bise à Frédéric qui la couvrît de compliments, dont le mari ne se cacha pas d'ajouter son grain de sel.
"Tu es sublime chérie, ta tante et les petites ont terminé ?
- Figure toi que j'ai entendu un cri il n'y a pas 5 minutes, je suppose qu'elles utilisent le fer à boucler. Elles ne devraient pas tarder. D'ailleurs, ton associé a appelé pour nous prévenir qu'ils ont démarré."
S'en suivit une énumération des invités et d'une pluralité de commérages croustillants les concernant. Descamps comprit les dangers de cette société, chaque détail se voyait détourné, interprété et amplifié. Alors son plan d'accaparer la jolie étrangère n'était en somme, nullement la chose à faire. Avec cette foule d'inconnus qui les surveilleraient, avides d'histoires à raconter aux prochaines party.
     Katherina, collée à Jonathan resplendissait et ordonna au groupe de les suivre. Tous se postèrent face aux marches du grand escalier qui unissait ceux menant aux ailes ouest et est. Annick et Lorene firent leur entrée, divines. La blonde avait opté pour une robe crayon bleu roi en velours à épaules dénudées ainsi qu'une paire de talons peu hauts, argentés. Une perle de culture pendait à sa poitrine et sa chevelure était pleine d'ondulations, semblable à une cascade dorée. A ses côtés rayonnait Hadler, personnification de l'élégance aux teintes lunaires dans sa toilette reproduite de mademoiselle Lisa Colt Curtis, drapée dans un satin doux et confortable. Elle avait orné ses doigts des bagues respectives de Frédéric et de Joseph. Dont l'un se questionna sur la provenance de cette nouveauté. Le chignon d'Hadler laissait exposer sa nuque pâle et le haut de sa poitrine découverte. Ayant refusé de mettre un collier. Dubaunet se précipita vers elles et les aida à descendre les marches restantes. Joseph restait en retrait, impressionné par ses camarades. Pichon lui aurait fait ses devoirs jusqu'en terminale pour avoir une chance d'admirer Sabiani à sa place. Le borgne se sentit soudainement découragé, son apparence lui donnait l'impression de ne pas avoir le droit d'être là. D'être costumé, à l'image d'une grossière imitation de garçon bourgeois au physique disgracieux. Il toucha son cache-œil. L'indomptable curiosité de Fanny l'avait mis dans une position délicate au repas de ce midi. Avide de connaître ce que l'ami de sa soeur avait traversé pour arborer pareil accessoire. Heureusement Annick l'avait tiré de ce mauvais pas en changeant de sujet. Il lui en devait une. Frédéric ne se priva pas de se tourner vers lui et de l'apostropher, moqueur.
"Un problème, le pirate ? Ne reste pas à l'écart."
Les paroles venimeuses du reptile choquèrent sa future épouse qui lui tapa le bras.
"Oh je blague ma puce." il se bidonnait presque.
"Il a raison." répondit Descamps, surprenant celui qui prenait un malin plaisir à le rabaisser. Il traversa la micro foule, complimenta Sabiani et se tourna vers Hadler.
"Tu es resplendissante, Lorene."
Cette attaque en traître paralysa Dubaunet, incapable de réagir. Les femmes de l'assemblée et l'anglaise elle-même rougirent. La sincérité et l'audace dont il fit preuve lui attira les faveurs de Katherina, qui se vanta d'avoir participé à leur mise en beauté.

The devil's heart - Joseph Descamps Mixte 1963Où les histoires vivent. Découvrez maintenant