Résidence des Hadler - 1963
Ils étaient libres, les vacances débutaient enfin ! À la sortie, au milieu de la neige qui parsemait les trottoirs et les tuiles, les élèves se regroupaient afin de se souhaiter de bonnes fêtes. Hadler prit l'initiative de le faire à Michèle, qui répondit poliment et rentra chez elle. Sans se retourner. Simone rassurait son amie, elles finiraient par redevenir proches. Annick accompagna Lorene au manoir, elles avaient des essayages à faire. Katherina avait insisté pour payer ou rembourser les achats aux lycéens qui accompagneraient sa nièce, ce qui gêna profondément Sabiani de prime abord. Puis lui ouvrit la voie vers un monde qu'elle désirait explorer. Sous les conseils des Hadler, elle trouva une tenue qui lui plaisait pleinement. Faisant en sorte de la rendre la plus sobre possible, réfléchissant à un usage futur et plus fréquent qu'une simple fête un soir dans l'année. Où elle risquait de ne plus mettre les pieds - sauf exception. Lorene l'avait complimenté maintes fois, à moitié dans le vague. Annick remarqua immédiatement son air triste alors qu'elle ne pensait pas être vue. Et cela ne s'arrangea pas au débarquement de Frédéric, bruyant et enthousiaste. La soirée passa sans que son amie ne décroche un mot. Jouant la carte du silence en gardant un sourire imprimé sur le visage. La blonde prit part au dîner sur invitation, placée à la gauche de Lorene qui devait supporter son fiancé en face. Il ne cessait de parler avec un débit clair et rapide qui occasionna une migraine à Katherina. Épuisée par le travail qu'elle avait accompli pour être prête à temps. Elle quitta la table avant le dessert. A la fin du repas, les Hadler, Sabiani et Dubaunet se replièrent dans le petit salon, entourant le feu de cheminée. Les filles avaient prévu une soirée pyjamas et avaient hâte que l'invité s'en aille. Il était nécessaire d'aborder ce qui les troublait mutuellement. Dont le mensonge que Annick était obligée de couvrir pour Lorene. Elle ne comprenait pas sa demande et sentait les ennuis poindre à l'horizon. Il lui fallait des réponses.
Par un miracle qui vint tardivement, Frédéric quitta le manoir, laissant ses hôtes enfin retrouver leurs chambres. Une fois lavées, habillées pour se coucher, les étudiantes se postèrent sur le lit d'Hadler. Allongées en travers, elles fixaient le plafond éclairé par les lueurs des bougies qu'elles s'étaient amusées à allumer. Contemplant les ombres des flammes dansantes.
"Tu es attristée car Michèle ne t'adresse plus la parole ?" tâtonna Sabiani.
"En partie. J'ai l'impression de ne plus être dans mon corps en ce moment. D'être spectatrice. Je m'efforce de satisfaire chacun de mes proches, vainement. C'est fatiguant. Les attentes des autres et leur manque de compréhension."
Annick voyait où sa camarade voulait en venir.
"C'est en lien avec l'autre débile ?"
Lorene ne put retenir un rire. Mélancolique, elle hocha la tête verticalement.
"Je le sens qu'il m'en veut de ne pas être aussi libre que n'importe quelle fille de Voltaire.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Pourquoi tu m'as demandé de mentir en clamant qu'il serait mon cavalier ? Parce que je refuse catégoriquement qu'il me touche, soyons claires."
L'interrogée développa, expliqua en long, en large et en travers sa situation. Scandalisant un peu Sabiani. Lorene montra sa cachette sous le plancher, dévoilant une montagne de billets qu'elle accumulait au nez et à la barbe de sa famille. Dès qu'elle obtenait une somme quelconque, que ce soit pour un événement particulier ou comme argent de poche, l'anglaise la préservait précieusement.
"Et si je perdais ma chance de fuir Frédéric à cause de lui ? Cela fait un an que j'assure mes arrières, que je me motive à affronter mon père et sa décision afin de prendre ma liberté. De louer un appartement en ville, trouver un emploi et me faire un nom. Sans l'aide d'un homme. Maintenant, je ne sais plus quoi faire. Si une once de soupçon pèse sur Descamps et moi, c'est l'honneur des Hadler que je salis. Ainsi que celui des Dubaunet. Avec ce qui lui est arrivé, Joseph va sans doute rencontrer des soucis pour trouver un poste ou s'adapter au sein d'une entreprise. Et si Frédéric et mon père s'en mêlent, il peut être sûr d'avoir à quitter le territoire s'il veut un travail. Je peux ruiner son existence à cause de mon égoïsme, cependant je ne me vois pas passer une seconde de plus sans être en contact avec lui. Depuis notre rendez-vous tu n'imagines pas à quel point je suis affamée, j'ai faim de sa présence et cela me terrifie. A quel moment suis-je devenue si dépendante d'un garçon ? Cette position est trop précaire.
- Tu penses qu'il est sérieux ?
- Aucune idée. Je ne suis pas en mesure de te le dire. Il n'a rien avoué et les gestes qu'il a envers moi peuvent très bien être fait par un homme dépourvu de sentiments. Uniquement animé par la luxure.
- Effectivement. Je l'ai vu avec ma mère."
Leur conversation se poursuivit jusqu'à ce que leurs yeux ensommeillés ne les force à déclarer forfait.
Annick promit de surveiller le comportement de Descamps à son égard lors de leur virée chez les Buhaut. Rassurant quelque peu son amie au cœur troublé qui s'endormit en pensant qu'elle bénéficiait de la meilleure alliée possible.
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The devil's heart - Joseph Descamps Mixte 1963
Romance1963 - Le premier lycée ouvre ses portes aux jeunes femmes, faisant preuve de modernité dans un monde en éternelle évolution. 12 demoiselles se sont armées de détermination afin d'obtenir leur diplôme et ainsi briser les codes d'une société qui les...