Lettre LVIII / Valmont à Mme de Tourvel

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Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

Par où ai-je donc mérité, madame, & les reproches que vous me faites, & la colère que vous me témoignez ? L'attachement le plus vif & pourtant le plus respectueux, la soumission la plus entière à vos moindres volontés ; voilà, en deux mots, l'histoire de mes sentiments & de ma conduite. Accablé par les peines d'un amour malheureux, je n'avais d'autre consolation que celle de vous voir ; vous m'avez ordonné de m'en priver ; j'obéis sans me permettre un murmure. Pour prix de ce sacrifice, vous m'avez permis de vous écrire, & aujourd'hui vous voulez m'ôter cet unique plaisir.

Mes lettres, dites-vous, sont trop fréquentes ! Songez donc, je vous prie, que depuis dix jours que dure mon exil, je n'ai passé aucun moment sans m'occuper de vous, & que cependant vous n'avez reçu que deux lettres de moi. Je ne vous y parle que de mon amour ! Eh ! que puis-je dire, que ce que je pense ? tout ce que j'ai pu faire a été d'en affaiblir l'expression ; & vous pouvez m'en croire, je ne vous en ai laissé voir que ce qu'il m'a été impossible d'en cacher. Savez-vous jusqu'où peut aller mon désespoir ? non.

Pour calculer mes maux, il faudrait savoir à quel point je vous aime, & vous ne connaissez pas mon cœur.

A quoi me sacrifiez-vous ? à des craintes chimériques. Et qui vous les inspire ? un homme qui vous adore, un homme sur qui vous ne cesserez jamais d'avoir un empire absolu. Que craignez-vous, que pouvez-vous craindre d'un sentiment que vous serez toujours maîtresse de diriger à votre gré ? Mais votre imagination se crée des monstres, & l'effroi qu'ils vous causent, vous l'attribuez à l'amour. Un peu de confiance, & ces fantômes disparaîtront.

Un sage a dit que pour dissiper ses craintes il suffisait presque toujours d'en approfondir la cause. C'est surtout en amour que cette vérité trouve son application. Aimez, & vos craintes s'évanouiront. A la place des objets qui vous effrayent, vous trouverez un sentiment délicieux, un amant tendre & soumis ; & tous vos jours, marqués par le bonheur, ne vous laisseront d'autre regret que d'en avoir perdu quelques-uns dans l'indifférence. Moi-même, depuis que, revenu de mes erreurs, je n'existe plus que pour l'amour, je regrette un temps que je croyais avoir passé dans les plaisirs ; & je sens que c'est à vous seule qu'il appartient de me rendre heureux. Mais, je vous en supplie, que le plaisir que je trouve à vous écrire ne soit plus troublé par la crainte de vous déplaire. Je ne veux pas vous désobéir : mais je suis à vos genoux, j'y réclame le bonheur que vous voulez me ravir, le seul que vous m'ayez laissé ; je vous crie : écoutez mes prières, & voyez mes larmes ; ah ! Madame, me refuserez-vous ?

De ... ce 7 septembre 17...

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