Lettre LXVIII / Valmont à Mme de Tourvel

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 Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

Comment répondre, madame, à votre dernière lettre ? Comment oser être vrai, quand ma sincérité peut me perdre auprès de vous ? N'importe, il le faut : j'en aurai le courage. Je me dis, je me répète qu'il vaut mieux vous mériter que vous obtenir. Non, Madame, je ne serai point votre ami ; je vous aimerai de l'amour le plus tendre, & même le plus ardent, quoique le plus respectueux. Vous pourrez le désespérer, mais non l'anéantir.

De quel droit prétendez-vous disposer d'un cœur dont vous refusez l'hommage ? Par quel raffinement de cruauté m'enviez-vous jusqu'au bonheur de vous aimer ? Celui-là est à moi. Il est indépendant de vous ; je saurai le défendre. S'il est la source de mes maux, il en est aussi le remède.

Non, encore une fois, non. Persistez dans vos refus cruels, mais laissez-moi mon amour. Vous vous plaisez à me rendre malheureux ? eh bien ! soit ; essayez de lasser mon courage, je saurai vous forcer au moins à décider de mon sort ; &, peut-être, quelque jour, vous me rendrez plus de justice. Ce n'est pas que j'espère vous rendre jamais sensible : mais sans être persuadée, vous serez convaincue ; vous vous direz : Je l'avais mal jugé.

Disons mieux, c'est à vous que vous faites injustice. Vous connaître sans vous aimer, vous aimer sans être constant, sont tous deux également impossibles ; & malgré la modestie qui vous pare, il doit vous être plus facile de vous plaindre, que de vous étonner, des sentiments que vous faites naître. Pour moi, dont le seul mérite est d'avoir su vous apprécier, je ne veux pas le perdre ; &, loin de consentir à vos offres insidieuses, je renouvelle à vos pieds le serment de vous aimer toujours.

De... ce 10 septembre 17...

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