Lettre CXXVI.
Madame de Rosemonde à la présidente de Tourvel.
Je vous aurais répondu plus tôt, mon aimable enfant, si la fatigue de ma dernière lettre ne m'avait rendu mes douleurs, ce qui m'a encore privée tous ces jours-ci de l'usage de mon bras. J'étais bien pressée de vous remercier des bonnes nouvelles que vous m'avez données de mon neveu, & je ne l'étais pas moins de vous en faire pour votre compte, mes sincères félicitations. On est forcé de reconnaître véritablement là un coup de la Providence, qui, en touchant l'un, a aussi sauvé l'autre. Oui, ma chère belle, Dieu qui ne voulait que vous éprouver, vous a secourue au moment où vos forces étaient épuisées ; & malgré votre petit murmure, vous avez, je crois, quelques actions de grâces à lui rendre. Je me permettrai d'ajouter que cette passion, qui vous avait subjuguée, déjà si malheureuse par elle-même, le devenait encore plus par son objet. Si j'en crois ce qu'on dit, mon neveu, que j'avoue aimer peut-être avec faiblesse, & qui réunit en effet beaucoup de qualités louables à beaucoup d'agréments, n'est ni sans danger pour les femmes, ni sans tort vis-à-vis d'elles, & met presque un prix égal à les séduire & à les perdre. Je crois bien que vous l'auriez converti. Jamais sans doute personne n'en fut plus digne : mais tant d'autres s'en sont flattées de même, dont l'espoir a été déçu, que j'aime bien mieux que vous n'en soyez pas réduite à cette ressource.
Considérez à présent, ma chère belle, qu'au lieu de tant de dangers que vous aviez à courir, vous aurez, outre le repos de votre conscience & votre propre tranquillité, la satisfaction d'avoir été la principale cause de l'heureux retour de Valmont. Pour moi, je ne doute pas que ce ne soit, en grande partie, l'ouvrage de votre courageuse résistance, & qu'un moment de faiblesse de votre part n'eût peut-être laissé mon neveu dans un égarement éternel. J'aime à penser ainsi, & désire vous voir penser de même ; vous y trouverez vos premières consolations, & moi, de nouvelles raisons de vous aimer davantage.
Je vous attends ici sous peu de jours, mon aimable fille, comme vous me l'annoncez. Venez retrouver le calme & le bonheur dans les mêmes lieux où vous l'aviez perdu ; venez surtout vous réjouir, avec votre tendre mère, d'avoir si heureusement tenu la parole que vous lui aviez donnée, de ne rien faire qui ne fût digne & d'elle & de vous !
Du château de... 30 octobre 17...
Lettre CXXVIII.
La présidente de Tourvel à madame de Rosemonde.
Je n'ai reçu qu'hier, Madame, votre tardive réponse. Elle m'aurait tuée sur-le-champ, si j'avais eu encore mon existence en moi : mais un autre en est possesseur ; & cet autre est M. de Valmont. Vous voyez que je ne vous cache rien. Si vous devez ne me plus trouver digne de votre amitié, je crains moins encore de la perdre que de la surprendre. Tout ce que je puis vous dire, c'est que, placée par M. de Valmont entre sa mort ou son bonheur, je me suis décidée pour ce dernier parti. Je ne m'en vante ni ne m'en accuse : je dis simplement ce qui est.
Valmont est heureux ; & tout disparaît devant cette idée, ou plutôt elle change tout en plaisirs. Il est devenu le centre unique de mes pensées, de mes sentiments, de mes actions. Tant que ma vie sera nécessaire à son bonheur, elle me sera précieuse, & je la trouverai fortunée. Si quelque jour, il en juge autrement... il n'entendra de ma part ni plainte ni reproche. J'ai déjà osé fixer les yeux sur ce moment fatal, & mon parti est pris.
Vous voyez à présent combien peu doit m'affecter la crainte que vous paraissez avoir, qu'un jour M. de Valmont ne me perde : car avant de le vouloir, il aura donc cessé de m'aimer ; & que me feront alors de vains reproches que je n'entendrai pas ? Seul, il sera mon juge. Comme je n'aurai vécu que pour lui, ce sera en lui que reposera ma mémoire ; & s'il est forcé de reconnaître que je l'aimais, je serai suffisamment justifiée.
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Les Liaisons Dangereuses - Version abrégée
Художественная прозаCette œuvre littéraire majeure du XVIIIe siècle, qui narre le duo pervers de deux nobles manipulateurs, roués et libertins du siècle des Lumières, est considérée comme un chef-d'œuvre de la littérature française.