La présidente de Tourvel au vicomte de Valmont.
Je ne voulais plus vous répondre, Monsieur, & peut-être l'embarras que j'éprouve en ce moment, est-il lui-même une preuve qu'en effet je ne le devrais pas. Cependant je ne veux vous laisser aucun sujet de plainte contre moi ; je veux vous convaincre que j'ai fait pour vous tout ce que je pouvais faire.
Je vous ai permis de m'écrire, dites-vous ? J'en conviens ; mais quand vous me rappelez cette permission, croyez-vous que j'oublie à quelles conditions elle vous fut donnée ? Si j'y eusse été aussi fidèle que vous l'avez été peu, auriez-vous reçu une seule réponse de moi ? Voilà pourtant la troisième ; & quand vous faites tout ce qu'il faut pour m'obliger à rompre cette correspondance, c'est moi qui m'occupe des moyens de l'entretenir. Il en est un, mais c'est le seul ; & si vous refusez de le prendre, ce sera, quoique vous puissiez dire, me prouver assez combien peu vous y mettez de prix.
Quittez donc un langage que je ne puis ni ne veux entendre ; renoncez à un sentiment qui m'offense & m'effraie, & auquel, peut-être, vous devriez être moins attaché en songeant qu'il est l'obstacle qui nous sépare. Ce sentiment est-il donc le seul que vous puissiez connaître ? & l'amour aura-t-il ce tort de plus à mes yeux, d'exclure l'amitié ? Je ne veux pas le croire : cette idée humiliante me révolterait, m'éloignerait de vous sans retour.
En vous offrant mon amitié, Monsieur, je vous donne tout ce qui est à moi, tout ce dont je puis disposer. Que pouvez-vous désirer davantage ? Pour me livrer à ce sentiment si doux, si bien fait pour mon cœur, je n'attends que votre aveu, & la parole que j'exige de vous, que cette amitié suffira à votre bonheur. J'oublierai tout ce qu'on a pu me dire ; je me reposerai sur vous du soin de justifier mon choix.
Vous voyez ma franchise. Elle doit vous prouver ma confiance. Il ne tiendra qu'à vous de l'augmenter encore : mais je vous préviens que le premier mot d'amour la détruit à jamais, & me rend toutes mes craintes ; que surtout il deviendra pour moi le signal d'un silence éternel vis-à-vis de vous.
Si, comme vous le dites, vous êtes revenu de vos erreurs, n'aimerez-vous pas mieux être l'objet de l'amitié d'une femme honnête, que celui des remords d'une femme coupable ? Adieu, Monsieur ; vous sentez qu'après avoir parlé ainsi, je ne puis plus rien dire que vous ne m'ayez répondu.
De... ce 9 septembre 17...
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Les Liaisons Dangereuses - Version abrégée
Fiction généraleCette œuvre littéraire majeure du XVIIIe siècle, qui narre le duo pervers de deux nobles manipulateurs, roués et libertins du siècle des Lumières, est considérée comme un chef-d'œuvre de la littérature française.