Chapitre 8 : Gabriel

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-Je suis rentrée.
- Alors cette journée ?
- Passable.
- Je vois bien qu'il y quelque chose qui te chiffonne, allez, dit tout à ton vieux père.
- Je me suis disputé avec Cindha.
- Cindha, la nouvelle qui est dans ta classe ?
- Oui.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Je me suis pris la tête avec elle parce que je l'ai envoyé bouler.
- Tu peux parler dans ma langue s'il te plaît ? Dans celle des vieux papas qui ne comprennent pas la langue des jeunes.
- Faut que tu te mettes à la page, papa. Bon, en gros, à chaque fois que je lui parle, elle me répond de manière agressive, ou m'ignore, donc aujourd'hui, je lui ai dit que j'en avais marre de son comportement, et je suis parti.
- Et tu te sens comment là ?
- Triste. Je sais qu'elle ne réagit pas comme ça par méchanceté, mais ça me blesse quand elle fait ça, donc je me sens rejeté aussi.
- Tu te sentais mieux quand tu lui parlais ou maintenant ?
- Tu joues ton psychologue maintenant ! Je sais pas. Là, j'ai juste envie de dormir pour l'éternité. Bon, assez parlé de moi, et toi alors ?
- Je ne suis pas sûr que ce que je vais te dire va t'aider à aller mieux.
- Dis toujours.
- On a plus d'évolution possible. Ces dernières décennies, nous avons fait des découvertes en médecine, dans la technologie et dans plein d'autres domaines, mais aujourd’hui, nous nous heurtons à un mur, qui malheureusement, est trop haut pour qu'on le franchisse. Nous sommes à notre apogée en termes d'innovation et de découvertes. Il n'y a plus de retour possible. On peut seulement espérer gagner du temps, les dernières années avant la chute de la Terre, et de toute la vie qu'elle renferme. Au fond, nous ne sommes qu'une espèce passagère qui a foulé sa surface durant une période de sa longue vie. Elle survivra. Peut-être qu'avant de percuter le soleil, d'autres formes de vie verront le jour à sa surface.
- Encore avec ça ! Il faut que tu changes d'air, papa, tu vas finir par devenir fou.
- Comment peux-tu rester aussi calme en sachant que tu ne connaîtras sans doute jamais ce que ça fait d'être adulte ?
- Je m'accroche à l'espoir.
- Il n'y a plus d'espoir. Regarde où on en est. Les dirigeants ne font rien, le prince ferme les yeux sur la situation, tout le peuple est dans l'ignorance.Les riches font des tours dans leur jet privé, pendant que d'autres sont à la rue à chercher une pièce pour s'acheter à manger. Des fois je me demande, mais dans quel monde vit-on ?
- Si seulement je savais. Ces gens-là ne sont que des égoïstes.
- Et pourtant, ce sont eux qui ont tout ce qu'ils désirent. Si ce n'est pas injuste ça…
- De l'injustice, il y en a toujours eu, et il y en aura toujours. Des guerres, des conflits, des meurtres, des génocides…aussi loin que j'ai étudié l'histoire, il y en a eu.
- Tu as raison, fiston. Et puis, au fond, nous sommes tous égoïstes. Nous avons choisi de vivre alors que d'autres meurent.
- De toute façon, avec plus de sept milliards de gens sur Terre, on ne peut pas satisfaire les désirs de tout le monde. Il y en aura toujours qui seront mécontents.
- Aussi. Je me demande parfois pourquoi on est aussi compliqué.
- C'est notre complexité qui fait notre richesse.
- Je suis d'accord. Merci fiston. Allez, va faire un tour maintenant, histoire de prendre l'air.
- Ok, mais je vais d'abord appeler Yan et Mat.
- Tu rentres avant sept heures, par contre.
- T'inquiètes. Je vais juste au parc.
Je prends mon téléphone, sort dehors, commence à marcher en direction du parc et compose le numéro de Yan.
-Hé salut, mec !
- T'ajoutes Mat ?
- Attends deux secondes, hop, c'est fait !
- Salut les gars ! Vous faites quoi ?
- Moi, je vais au parc, je prends l'air après cette longue journée de cours.
- Tu es sûr que c'est ta journée de cours qui a été fatigante ?
- Qu'insinue-tu ?
- Non rien, oublie.
- Yan ! Je sais que tu ne me dis pas tout.
- Il parle de Cindha.
- De Cindha ?
- Oui, on a bien vu que tu t'es disputé avec elle.
- J'ai pas trop envie de revenir sur cet épisode. On ne pourrait pas parler d'autres choses ?
- Vous en êtes où dans le travail de groupe d'histoire ?
- On l'a terminé avec Maeve. C'est une fusée, cette fille. J'espère avoir une bonne note !
- Attends, tu rigoles ? Maeve, c'est l'intello de la classe !
- Enfin, ça, c'était avant que Cindha débarque. Ses notes sont ouf à elle aussi !
- Elles se sont bien trouvées. Gaby, t'es toujours là ? On t'entends pas…
- Vous parlez encore de Cindha ! On a même pas commencé le travail de groupe…
- Tu sais, Gaby, je vais être honnête avec to,i parce que tu es mon meilleur pote avec Mat, mais je pense qu'il faut que tu lui parles.
- Yan a raison, Gaby, tu dois ravaler ta fierté et essayer de chercher à comprendre pourquoi elle réagit comme ça, elle doit bien avoir une bonne raison.
- Et puis je suis sûr que tu connais des choses sur elle qu'on ignore donc tu dois t'en servir pour te rapprocher d'elle.
- Et si je n'en ai pas envie ?
- Enfin Gaby, arrête de te mentir à toi-même ! Tu sais au fond de toi ce que tu veux, écoute ton cœur, et tes potes au passage !
- Merci à vous deux d'être là, je ne sais pas ce que je ferai sans vous.
- Tu nous revaudras ça ! La prochaine fois qu'une fille vient te parler, tu vanteras les mérites de tes deux meilleurs potes !
- Yan, tu ne changeras jamais !
- Et d'ailleurs, t'en es où avec Lou ?
- Toujours à la case départ…
- Tu devrais peut-être abandonner…
- Jamais !
- Ce que tu peux être têtu des fois.

Je sens mon téléphone vibrer entre mes mains, et un numéro s'affiche. Ce numéro qui m'était encore inconnu jusqu'à aujourd'hui prévenait une conversation épineuse.

-Je dois raccrocher les gars, j'ai un double appel.
- De qui ?
- De Maeve. Allez bye les gars. À demain !
- C'est ça ouais, parle bien avec Maeve ! Et je te préviens, Cindha va être jalouse !
- N'importe quoi !

Je raccroche l'appel et prend le deuxième.

-Allô.
- Gabriel, t'es là ?
- Ben oui, puisque tu m'entends. Qu'est-ce que tu veux ?
- Juste te parler de Cindha. Je t'entends souffler. Je sais que votre dernière conversation a été tumultueuse, mais Cindha a besoin de ton aide.
- Et pourquoi moi ? Tu pourrais le faire toi !
- Elle se livre plus facilement à toi qu'à moi.
- Je suis sceptique mais passons. Que veux-tu que je fasse, tu as bien vu ce qui s'est passé aujourd'hui ?
- Cindha s'est fait harceler dans son ancien lycée.
- Sa mère me l'a dit.
- Je pense que c'est ça le problème.
- Je comprends pas.
- Laisse-moi parler. Cindha s'est fait harcelée. Mets toi à sa place. Elle a dû se sentir rejetée, blessée, humiliée…Enfin bref, quand elle est arrivée dans ce lycée, elle souhaitait oublier. Elle ne voulait pas être la victime de service comme avant. Elle s'est construite une nouvelle identité, un nouveau caractère…Une nouvelle façon d'être, quoi.
- Oui, sa mère m'a vaguement fait un discours similaire au tien. Mais,  comment sais-tu tout ça ? Elle te l'a dit ?
- Non, mais en analysant ses gestes, sa voix, sa façon de se comporter, etc…Je me suis rendue compte qu'elle n'a pas confiance en elle, qu'elle a peur, et que c'est une façon pour elle de montrer sa détresse.
- Bon, ok et donc tu veux que je fasse quoi ? Je ne peux pas effacer ses peurs moi.
- Tu sais pourquoi elle te rejette comme ça ?
- J'aimerai bien savoir.
- Parce qu'elle a peur de toi.
- Peur de moi ?
- Ou plutôt, elle a peur de ton influence.
- Mon influence ?
- Arrête de répéter ce que je dis ! Oui, Gabriel, tu es le garçon le plus populaire de Seconde, donc forcément tu attires les regards, les conversations…Et Cindha ne veut pas qu'on la remarque. Tu comprends, maintenant ?
- Je crois. Mais je ne comprends toujours pas comment je peux l'aider.
- Tu peux lui redonner confiance en elle. Elle tient à toi, Gabriel, peut-être qu'elle se voile la face ou qu'elle montre le contraire, mais je suis sûre qu'au fond d'elle, elle le sait. J'arrive ! Ma mère m'appelle, je dois y aller. Réfléchis à ce que je t'ai dit !

Elle raccroche. Je reste encore quelques secondes à regarder l'écran de mon téléphone, devenu noir. Après ces deux appels, je suis enfin arrivé à l'entrée du parc. Il n'y a pas grand monde. Seulement quelques enfants qui s'amusent sur les balançoires électriques. Je regarde autour de moi et les paroles de mon père me reviennent en mémoire. Il a raison. On va droit dans le mur. Je cherche un banc pour pouvoir me reposer. Tiens, ce ne serait pas…mais si c'est ça. Elle a dû l'oublier ici. Je ramasse le Journal. C'est celui de Cindha. À l'heure qui l'est, je dois l'avoir manqué de peu. Je dois lui ramener. Je sais combien Cindha tient à son Journal. Elle va être dévastée quand elle va se rendre compte qu'elle ne l'a plus. En ayant déjà été chez elle, je me rappelle de son adresse. Je commence à courir en direction de sa maison. Si j'évalue bien la distance, je dois être à environ quinze minutes de ma destination. Je passe devant des immeubles, des magasins, des entreprises, avant d'arriver dans la partie reculée de la ville. Là où l'air est plus respirable, où le bruit des voitures est moins fréquent, et où on peut encore distinguer le chant des valeureux oiseaux, qui survivent tant bien que mal au massacre.

-Bonjour, madame.
- Gabriel, c'est toi ? Tu sembles essoufflé, tu as couru ? Allez rentre à l'intérieur te reposer.
- Merci mais je n'en ai pas pour longtemps. J'ai…j'ai trouvé son journal sur un banc, dans le parc. Elle a dû l'oublier quand elle s'y est rendue.
- Tu l'as retrouvé ! Malheureusement, Cindha est déjà repartie aller le chercher…Je vais essayer de l'appeler pour la prévenir.

Elle repart à l'intérieur et revient une ou deux minutes plus tard, le visage soucieux.

-Elle a oublié son téléphone ici, je n'ai aucun moyen de la joindre…Je sais juste qu'elle est partie au parc.
- C'est pas grave, je vais refaire un saut là-bas, avant de rentrer chez moi. Je lui donnerai son Journal.
- Ça ne te dérange pas ?
- Pas du tout. Je vais juste prévenir mon père de mon retard. Plus vite je me mettrai en route, plus vite je serai rentré. Au revoir, madame, à bientôt.
- Merci à toi mon garçon. N'hésite pas à passer quand tu le souhaites !
- Merci !

J'envoie un message à mon père qui me répond un "Pas de soucis.",  en disant que je tiens là l'occasion de me réconcilier et de me rapprocher de Cindha. Qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir que je me rapproche de Cindha ? Je me remets à courir en direction du parc, le journal sous le coude, avec la désagréable impression de ne pas être au bout de mes surprises.

La fille aux yeux verts Où les histoires vivent. Découvrez maintenant