Chapitre 10 : Gabriel

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Je dévisage Cindha, encore sous le choc. Elle semble aussi surprise que moi par ce qui vient de se passer.

-C'est vraiment toi qui vient de faire ça ?

Je regarde Cindha dans les yeux, comme pour me convaincre qu'elle est bien là, à côté de moi, vivante.

-Je crois.

Elle détourne les yeux, sans doute pour que je ne voie pas les larmes qui s'accumulent dans ces derniers.

-Tu as le droit de pleurer, ou de rire. Tu as le droit d'être en colère, ou triste. Une émotion, ça ne se contrôle pas. Pleure, si tu en ressens le besoin. Je ne te jugerai pas. Pour moi, tu es l'une des personnes les plus fortes de ce monde. Et même les gens forts ont le droit d'avoir des moments de faiblesse.
- Merci, sincèrement. J'ai tellement l'habitude maintenant de rester insensible à certaines choses que j'ai l'impression que tout m'échappe des mains. Je pense que l'ancienne Cindha refait surface.

Je me pince la peau pour me prouver que je ne rêve pas, et une vive douleur vient me piquer la peau à l'endroit où mes doigts ont exercé une brève pression.

-Aïe.
- Tu t'es fait mal ?
- Ce n'est rien, je vérifiais juste que je ne rêvais pas.

Mais non, je suis bien là, à côté d'elle et sûrement en train d'avoir la plus longue conversation que j'ai eu avec cette fille.
Elle se lève et ses yeux couleur émeraude croisent les miens. J'y lis de la détresse, de la peur et une profonde incompréhension d'elle-même.

-Tu ne diras rien à personne hein ?
- Oui, je t'en fais la promesse. Ce sera notre secret à tous les deux !

Un faible sourire éclaire son visage. Je ressens comme une vague de chaleur déferler dans mon corps. Un sourire franc et sincère, le premier depuis bien longtemps.

-Au fait, j'ai trouvé ton Journal sur un banc du parc, et je suis parti te le ramener, mais ta mère m'a dit que tu étais déjà reparti au parc. Et puisque tu avais oublié ton portable, j'ai donc décidé de faire un saut ici avant de rentrer, pour te le donner. Enfin bref, voici ton Journal.

Je lui tends le Journal et son visage semble s'illuminer.

-Merci, merci beaucoup ! J'ai cru l'avoir perdu pour toujours ! J'espère juste que tu n'as pas fouiner dedans comme la dernière fois…
- Non, ne t'inquiètes pas, j'ai retenu la leçon.

Je la vois s'éloigner vers l'entrée du parc. Il doit être vingt heures du soir. La nuit commence à tomber doucement, le soleil éclairant encore la quasi-totalité du parc.

-Mais où vas-tu ?
- Je rentre.

Je me précipite vers elle, la rattrape et la prends par le poignet.

-Cette fois, tu ne prendras pas la poudre d'escampette ! Laisse-moi te parler. Je te connais, dès demain, tu m'éviteras. Alors autant discuter tant que tu es là, devant moi.
- Tu m'as presque convaincu. Presque.
- Tiens, envoie un message à ta mère pour la rassurer.

Je lui tendis mon téléphone, elle soupira mais ne me contredit pas pour autant. Je vois ses doigts taper fébrilement sur le clavier. Le silence s'installe entre nous. Un silence calme, qui traduit la tension mais aussi le soulagement qui règne dans ce lieu. Seuls les réguliers bruits du clavier interrompent celui-ci.

-Vas-y, je suis toute ouïe. Parle.
- Écoute, on sait tous les deux que ce qui vient de se passer relève du surnaturel. Tu dois réessayer.
- Comment ça ?
- Tu dois refaire ce que tu as fait.
- Je ne sais même pas comment je m'y suis pris ! J'étais en détresse, et je voulais que ça arrête…et j'ai fait ce que j'ai fait.
- Moi, j'ai eu l'impression…disons…que tu étais une autre personne. Tes yeux brillaient et tu semblais comme hypnotisée. Mais j'ai sentis aussi de la force et de la puissance. J'étais comme paralysé, je ne pouvais plus marcher.
- J'ai eu la même impression. Comme si une nouvelle Cindha était apparue. Une Cindha qui n'avait peur de rien, qui était forte et ne craignait pas les autres. J'ai eu l'impression qu'une "énergie" nouvelle s'était développée dans mon corps, avant de le quitter. Je pense que tout part de cette "énergie".
- Puis j'ai vu ces plantes sortir de Terre pour grandir, grandir, grandir. Et toi, tu chantais, tu fredonnais un bel air, une mélodie que l'on pourrait écouter encore et encore sans se lasser. Les plantes dansaient sur cet aire et se sont attaqués aux filles. Je pense qu'elles ressentent tes émotions et tes peurs, et t'ont donc protéger de cette menace.
- Le plus étrange, c'est que maintenant, je me sens mieux. Comme si j'avais comblé un vide que je ressentais en permanence jusqu'à aujourd'hui. J'ai l'impression d'avoir répondu à la question "Mais qui suis-je ?".
- Tu ne dois pas avoir peur de toi. Tu penses que tu peux essayer de refaire ce que tu as fait ?
- Comme je te l'ai dit, je ne sais pas comment j'ai fait. Et puis, je trouve ça bizarre que cela se soit produit aujourd'hui, et non un autre jour.
- Je pense que c'est ta détresse et tes émotions qui ont en quelque sorte "débloqué" ce pouvoir, si on peut appeler ça comme ça.
- Tu te rends compte qu'on parle quand même d'une chose considérée comme impossible par la science ? Je trouve ça incroyable mais aussi effrayant…
- J'en ai tout à fait conscience. Pour être honnête avec toi, dès la première fois où je t'ai vu, quand tu es entrée dans la classe, je me suis dit : "Elle a quelque chose de spéciale." Et je crois que je viens de découvrir ce que c'était.
- Tu penses vraiment ce que tu viens de dire ?
- Bien sûr. Pourquoi, tu en doutes ?
- Non, c'est juste que c'est l'une des plus belles choses qu'on m'ait dite.

Cette phrase, je me la répète encore et encore comme pour me persuader de sa sincérité. Je regarde mon portable. 20h35. Mon père va commencer à s'inquiéter si je ne me présente pas bientôt à la maison.
-Je vais bientôt devoir rentrer, mais est-ce que tu pourrais essayer, je ne dis pas faire, mais essayer, de reproduire ce que tu réalisé ?
- D'accord, je ne sais pas si ça va marcher mais je peux toujours tester !
- "Qui ne tente rien n'a rien". Essaye de te remettre dans les circonstances de tout à l'heure.
- Ok. Toi, reste là, je m'éloigne juste un peu pour essayer d'être dans ma bulle, et de ressentir cette "énergie".
- Parfait. Et surtout, pas de pression !

Cindha s'éloigne de moi. Je la perçois faiblement dans le noir, qui se fait de plus en plus sombre, au fur et à mesure que les minutes s'écoulent. Je la vois marcher de droite à gauche, comme si elle fuyait quelque chose. Je lui cri :

-Cindha, calme toi !

Elle semble m'entendre puisqu'elle s'arrête, et fixe le ciel de ses yeux. Je décide de fermer les miens, pour la laisser seule avec elle-même. J'entends le doux bruissement du vent, le silence de la nuit, et le faible ronron des moteurs de voitures. Puis, je l'entends. Cette mélodie, cet air, doux, agréable, harmonieux, emplir l'espace. J'aimerai qu'elle ne s'arrête jamais. Je décide d'ouvrir les yeux. Les plantes sont réapparues, et des animaux sont venus s'ajouter au spectacle. Des chats, des chiens, des oiseaux,..., bougent au rythme de la mélodie, comme une seule et même personne. Cindha est au milieu, et ressemble à une reine. Ses yeux brillent, et un halo vert l'entoure. Elle est belle, resplendissante même. Je ne peux détourner mes yeux d'elle. Je me sens comme la première fois, hypnotisé et incapable de bouger. Le moment semble suspendu dans le temps. Plus rien n'existe. À part elle, et sa mélodie. Plusieurs secondes, ou minutes, je ne saurais le dire, s'écoulèrent avant que les plantes ne disparaissent,  et que les animaux ne regagnent leur cachette. Cindha s'avance vers moi, tremblante, mais heureuse.

-C'était incroyable ! J'ai l'impression que la nature, c'est toi.

La fille aux yeux verts Où les histoires vivent. Découvrez maintenant