Chapitre 21 : Cindha

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Je ne réalise pas ce qui est en train de se passer. Je vois Gabriel fermer ses yeux, sans répondre à mes interrogations. Je crie, je hurle, mais, aucune réponse. J'ai peur. Je comprends que je suis en train de perdre un ami, mon ami, le meilleur que j'ai, et le seul que je possède. Je décide de réagir. Une petite respiration pour faire le vide dans mon esprit. Réfléchis, Cindha, réfléchis. À coup sûr, ce sont les baies qui sont à l'origine de son état. Je sens les arbres me parler tellement doucement. Je perçois un doux murmure m'appeler. Je me concentre sur cette douce mélodie en ne pensant à rien d'autre. Et bientôt, une connexion se crée entre la nature et moi, plus précisément entre une partie de moi et une autre, inaccessible habituellement. Une chanson commence à se former dans mon esprit. Je ferme les yeux, et visualise Gabriel, allongé contre le sol, sa respiration sifflante, et de plus en plus faible. Une partie de moi entend le loup hurler à la forêt tout entière, comme un ultime appel au secours. Je me joins à ses hurlements, et tous les arbres, végétations et animaux habitant ces lieux, ajoutent leur voix aux nôtres. Plus rien n'existe. Comme à chaque fois, je me sens puissante, comme si rien ne pouvait m'atteindre. Comme recouverte d'un bouclier me protégeant des problèmes quels qu'ils soient. Je m'accroupis près de Gabriel, et pose délicatement mes mains tremblantes contre son torse. Je continue de chanter, encore et encore, sentant la force de la nature couler dans mes veines. Puis, l'impossible se produit. J'entends un faible grondement sortir de la gorge de Gabriel pour rompre l'atmosphère de mort qui régnait quelques instants auparavant. Je l'observe et aperçois ses yeux se cligner. Puis, il essaie de bouger sa main, ensuite son bras. Je rapproche mon visage du sien, et sens le souffle chaud de sa respiration effleurer mon visage. Je crie :

-Imbécile ! Tu as bien failli mourir pour quelques baies. Tu imagines si tu étais mort ?! J'aurai fait quoi moi ? Tu as pensé à ce que j'aurais pu ressentir si je t'avais perdu ? Si tu étais…
- Cindha. Calme-toi. Je suis là, tout va bien maintenant. J'avoue, je suis bête. Mais elles semblaient tellement bonnes ! Elles m'appelaient et je ne pouvais résister à la tentation de les goûter. Désolé.
- On aurait dû s'arrêter plus tôt. C'est vrai, tu avais raison, à dix minutes près, ça ne changeait pas grand-chose.
- Bon, disons qu'on fait cinquante, cinquante. On aurait dû s'arrêter, et je n'aurais pas dû manger de baies.
- Assez parlé. Comment te sens-tu ?
- Bien, je crois. Un peu engourdie mais ça va. Combien de temps s'est écoulé depuis que je suis…tombé ?
- Environ dix minutes. Dix longues minutes où j'ai cru que je t'avais perdu pour toujours. Dix longues minutes de souffrance, de douleur, dont je me souviendrai toute la vie. Dix longues minutes qui ne s'effaceront pas de mon esprit.
- Désolé. Au moins, pour le côté positif des choses, on a pas perdu beaucoup de temps. Remettons-nous en route.
- Je crois que tu dois des excuses à quelqu'un.
- Oh non, ne m'oblige pas à faire ça.
- Sans lui, il y a de grandes chances pour que tu sois mort.
- Tout mais pas ça.
- Deux mots, Gabriel, tu peux le faire. Deux mots en échange de la vie, ce n'est rien.
- D'accord…mais sache que ça me coûte de dire ça.
- J'imagine. Dépêche-toi, on a pas tout notre temps.
- Mer…merci, Olgo.
- Et bien tu vois, ce n'est pas si compliqué !
Olgo hoche la tête montrant qu'il accepte ses remerciements.

-Bien, on peut y aller maintenant. Tu as besoin d'aide pour te lever ?
- Non, c'est bon.

Je le vois s'appuyer sur sa main droite pour se relever, une faible grimace éclairant son visage. Cependant, il ne rouspète pas. Olgo se positionne à côté de moi, à l'opposé de Gabriel. À croire que ces deux là ne sont toujours pas amis. On se remet à marcher, sans parler. Je distingue juste le bruit du vent effleurant les branches d'arbres.

-Je peux te poser une question ?
- Oui ?
- Je me disais…tu possèdes le pouvoir de la nature, n'est-ce pas ?
- Oui, tu le sais bien.
- Et tu sais faire pousser des plantes, des arbres, et appeler les animaux des environs ?
- Oui, et donc ? Accouche.
- Et bien…peut-être que tu pourrais faire pousser des arbres fruités ?
- J'y ai déjà pensé, mais je me heurte à un problème. Les arbres sont malades. Je suis malade.
- Tu es malade ?! Pourquoi ne m'as-tu rien dit !
- Je ne suis pas malade comme tu l'entends. Je suis malade de l'intérieur, une maladie qui me ronge dans mon corps m'enlevant mon énergie telle une pompe.
- Ok…
- Je comprends ton scepticisme. En résumé, je ne peux pas faire pousser d'arbres fruités parce que les fruits seront toxiques comme ceux que tu as mangés.
- Je crois que je commence à comprendre. Si la nature va mal, tu vas mal, et vice versa.
- Oui. Mais je ne vais pas mal dans le sens où j'ai un virus ou un microbe. Ce sont mes forces naturelles, et mon pouvoir qui s'affaiblissent. Faire pousser des arbres, appeler des animaux, me vide de mon énergie de plus en plus vite en fonction que la nature se dégrade. J'ai l'impression que plus on avance dans cette forêt, plus la nature va mal.
- Ça semble logique quand on y réfléchit.
- À quoi tu penses ?
- Et bien plus on s'enfonce, plus on est prêt des décharges de déchets donc les arbres et la végétation en générale ont plus de mal à pousser puisque la terre n'est pas fertile.
- Oui, tu as raison, ça semble logique.
- Et tu sais, avec du recul, quand tu as chanté, c'était comme une voix qui me montrait le chemin. J'avais l'impression qu'une partie de ma conscience s'était perdue dans mon être et grâce à ta voix, elle a retrouvé son chemin.
- Mmm…C'est vrai que c'est étrange.
- Mais incroyable à la fois.
- Sans doute. Moi je n'ai rien senti de tel. J'entendais juste les arbres m'appeler, et la chanson m'est venue sans réfléchir. Le loup m'a beaucoup aidé. Je crois qu'une sorte de connexion s'est créé durant ton sauvetage et n'a pas faibli depuis.
- C'est magique.
- C'est le cas de le dire.
- Et si on faisait une pause ? J'ai les jambes en compote, et tu ne sembles pas en meilleur état que moi.
- Je ne suis pas sûre que…
- Cindha ! On s'arrête. Tu es épuisée, et moi aussi. On a besoin de repos. On repartira tôt demain matin. Et regarde.

Il me tend mon Journal en montrant un point sur la carte avec son doigt.

-On est ici. Tu vois, on est plus très loin de la grotte. Plus que quelques jours de marche.
- Quelques jours…c'est vague. Ça comprend trois jours, ou deux semaines.
- Cindha, dans la vie il faut savoir faire preuve de patience. Nous ne sommes pas à quelques jours près.
- Tu as raison. C'est juste que…il me tarde d'arriver pour enfin savoir qui je suis.
- Et je comprends. Mais je pense que comme moi, tu préfères qu'on arrive entier.
- Ce serait mieux, en effet.
- Nous voilà donc d'accord.
- Montons la tente, dînons, et couchons nous tôt pour repartir dès l'aurore demain.
- Oui, demain matin, une grande journée nous attend.

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