Chapitre 15 : Cindha

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J'ai besoin de savoir. J'ai soif de connaître la vérité. Et je sais par quoi commencer. Gabriel m'a appelé un peu plus tôt dans la soirée, vers dix neuf heure et demi, pour conclure qu'il n'avait rien trouvé, à part un petit paragraphe évoquant l'existence d'un autre monde parallèle à celui-ci, dans lequel il est question de pouvoirs. Il me fait une fixette sur mes yeux verts, qui pourraient représenter le pouvoir de la Nature, avec un grand "N", comme il a dit. Il semble tellement convaincu par son hypothèse. Moi, je ne sais pas quoi en penser. C'est quand même irréel de croire en l'existence d'un autre monde, complètement différent de celui-ci, et dont personne ne connaîtrait l'existence, à l'exception prêt de cet ouvrage, et de celui qui l'a écrit. Bref, c'est compliqué de démêler le vrai du faux dans tout ça, l'imagination de la réalité. La barrière entre ces deux là est tellement confondue, avec ce qui m'arrive, que je ne sais même pas si c'est encore possible de distinguer les deux. Je bavarde, mais en réalité, j'essaie de gagner du temps. Je suis un peu stressée, parce que je vais aborder un point sensible avec ma mère adoptive : mon arrivée. Autant dire, que je n'ai pas du tout envie de tenir cette conversation, et d'en être l'origine. J'ai eu beau chercher, la façon la plus commode, et la plus simple, de poser le sujet sur la table, rien d'inédit ne m'est venu à l'esprit. Le plus facile, selon moi, est de l'emmener à échanger sur ce sujet. En parlant. En demandant. En écoutant ce qu'elle a me dire. Je descends les escaliers, plus lentement qu'à l'accoutumée. Comme tout, le moment tant redouté arrive enfin.
Je l'aperçois, dans la cuisine, en train de faire ses courses en ligne, sur un petit appareil installé à la paroi en plastique du frigo.

-J'avais une question à te poser…

Ma mère adoptive se tourne vers moi,  et fronce les sourcils :

-Oui ? Qu'y a-t-il ?
- C'est à propos…de mes parents biologiques…

La phrase est sortie. Elle me dévisage, et semble surprise. Elle ne s'attendait probablement pas à cette question.

-Je crois que l'on va devoir avoir une petite discussion. Tu as cinq minutes devant toi ?
- J'en ai même dix.
- Viens, allons nous asseoir dans le canapé.
- D'accord.

On traverse le salon, direction le canapé. Un silence s'installe entre nous. Un silence pesant, qui reflète la pression de cet instant.

-C'est vrai que l'on évoque jamais le jour où tu es arrivée ici avec toi. Ce n'est pas parce que l'on souhaite faire comme si de rien était, mais, c'est qu'on ne veut pas forcément repenser à l'avant, tu comprends ?
- Pas vraiment, non.
- Je…je suis stérile. Alors, quand je t'ai vu sur le pas de la porte, j'ai vu mon rêve le plus cher se réaliser. J'avais un enfant. Peut-être pas celui que j'avais conçu biologiquement, mais ça n'avait pas d'importance à mes yeux. J'avais un être à qui donner cet amour que je laissais enfoui en moi. Tu as été ma bouée de sauvetage. Avant ton arrivée, on m'avait décelé une dépression. Je ne voulais plus vivre. Et toi, tu es celle qui m'a ramené cette envie de vivre, cette envie de découvrir de quoi est fait demain. Je sais que je ne serai jamais celle qui t'a mise au monde, et que l'on est peut-être pas aussi proche qu'une mère et sa fille, mais l'amour que l'on ressent pour une personne va au-delà des liens de sang. Je t'aime, Cindha. Pour de vrai. Quand je te vois, je ressens la fierté d'une mère de voir sa fille évoluer, la peur à chaque instant où tu te lances dans l'inconnu, et de l'amour. Beaucoup d'amour. Tout ça pour te dire, Cidhna, qui si tu veux parler, je suis là. Tu ne dois pas avoir peur de venir me voir. Même quand il s'agit de sujet dont on ne parle jamais. Toutes les affaires qui étaient avec toi sont dans le grenier. Tu veux les voir ?

Je regarde celle qui m'a élevé comme son enfant, alors qu'elle ne m'attendait plus, qu'elle ne m'espérait plus. J'ai les larmes qui coulent le long des joues. Mais pas des larmes de tristesse non, mais d'amour. Moi aussi, j'ai compris que l'amour était plus fort que tout, et n'avait aucune limite.

-Je te considère comme ma mère. Je n'ai pas une, mais deux mères, et je suis fière d'avoir la chance de connaître l'amour de la deuxième. J'espère qu'un jour, la première mère viendra me voir, et ainsi, les deux mères seront enfin réunies. Je veux bien aller au grenier, si ça ne te dérange pas, bien sûr.
- Pas du tout. Allons-y de suite.

Je suis ma mère. Désormais je n'ai plus peur de clamer ce mot haut et fort, sans ajouter "adoptive" derrière. C'est ma mère, un point c'est tout.

-Tout est là. Je préfère te prévenir maintenant, il n'y a pas grand chose.

Je regarde autour de moi et m'approche de l'endroit qu'elle montre. C'est vrai qu'il n'y a pas grand-chose. J'aperçois juste une vieille couverture, une sorte de berceau un peu étrange…et c'est tout.

-Je vois à ton regard que tu es déçue…J'ai conservé la couverture et le berceau dans lesquels tu étais, en arrivant. À et aussi, ils ont laissé une brève lettre. Tu veux la voir ?
- Je veux bien, s'il te plaît.
- Tiens la voici, elle est dans ce petit coffret.

Elle me tend un bout de papier, pas plus grand qu'une demi page. Pas de quoi contenir mon histoire. Je la déplie, et mes yeux parcourent les quelques lignes écrites dessus.

"Prenez soin d'elle, et chérissez là comme votre petite fille, qu'elle puisse goûter au bonheur. Un jour, elle connaîtra son passé et alors, elle sera qui elle est. Mais elle devra se munir de patience. Tout viendra quand ce sera l'heure de savoir.
Merci à vous. "

Pas de noms, d'adresse, ou d'explication, quant à mon arrivée.

-Je t'avais prévenu. Mais tu dois garder espoir d'un jour savoir qui tu es et d'où tu viens, comme le dit la lettre.
- J'imagine. Mais c'est tellement dur de vivre dans l'ignorance.
- Je comprends. Mais sois patiente, tu le sauras bien un jour.
- Je suppose.

Bip bip bip.

-Ah ! On dirait que le frigo m'appelle. Je dois y aller, tu peux garder la lettre, si tu veux.
- Merci.

Je vois ma mère s'éloigner et je lui emboîte le pas. Direction ma chambre. Je ne suis pas beaucoup plus éclairée qu'il y a un quart d'heure, mais je pense ne pas me tromper en disant que mes parents, ou un proche d'eux, doivent tout savoir. Il doit donc y avoir une personne qui a connaissance de mon passé.
J'attrape mon Journal et commence à écrire :

"Cher Journal,

Ne pas savoir qui m'a mis au monde devient chaque jour un peu plus douloureux pour moi. Je ne sais même pas pourquoi je m'acharne à savoir. J'ai de l'amour dans la famille qui m'a accueilli. J'ai une place. J'ai ma place. Mais, je ne sais pas, j'ai le sentiment que je dois les retrouver pour connaître mon histoire. Peut-être que si je n'avais pas cette particularité, je ne les chercherais pas. Je reconnais que c'est dure d'avancer dans un tunnel noir. Un tunnel rempli d'incertitudes, et de questions sans réponses. Et est-ce que j'ai des frères ou sœurs ? Mes parents sont comment, physiquement ? Est-ce qu'ils pensent à moi ? Est-ce qu'ils se rappellent de moi ?
Je veux savoir qui sont mes parents."

Et alors que j'allais refermer mon Journal, juste devant mes yeux, sur une page encore vierge quelque temps auparavant, se dessine une lettre et une photo.
J'attrape la lettre, les mains tremblantes.

"Cindha,

Oh ma douce Cindha. Tu ne peux pas savoir comment vivre loin de toi me procure une souffrance immense. Chaque seconde qui passe, j'ai envie de te connaître, de savoir quelle jeune femme tu es devenue. Quinze ans ont passé, depuis ce jour où ils t'ont laissé. Quinze qui n'ont rien effacé de la douleur que je ressens en pensant à notre séparation. Je t'aime, Cindha. Pour toi, je suis comme un inconnu. Tu ne me connais pas. Moi, je te connais à travers ce Journal. Tu sembles si mature. Tu devrais être une jeune femme insouciante, voulant juste plaire aux garçons. Je regrette que ta jeunesse soit déjà finie. Bientôt, tu seras enfin tout.
Ton papa qui t'aime."

La fille aux yeux verts Où les histoires vivent. Découvrez maintenant