Chapitre 22 :

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Mon père a raison. Elle est en train de mourir, et Cindha avec. La végétation se fait plus sèche, moins dense, au fur et à mesure que l'on s'enfonce dans la forêt.  Plus de chant d'oiseau, plus de vent, plus de petits grognements des animaux vivants dans les parages. C'est comme si le temps s'était arrêté. La terre est hostile, paraissant mener une guerre intérieure que seule elle ressentirait. Que seule elle pourrait entendre, que seule elle pourrait arrêter, aussi. La végétation se fait plus sombre, moins de vert, plus de marron. Un changement de tableau, un changement d'ambiance, se fait ressentir. Je me croirai dans un autre monde. Le contraste entre le bonheur et la peur, la tristesse et la joie. Une frontière un peu flou les sépare, mais la frontière est belle et bien là. Présente. Physique. Je regarde attentivement Cindha, et m'aperçoit qu'elle aussi, semble voir la souffrance de plus en plus forte de la forêt. Son teint est plus pâle, elle ralentit. Mais ne bronche pas. Elle ne dit rien, garde le regard droit devant elle, comme si elle s'accrochait à un point que seul elle peut voir. Comme si elle s'imaginait un futur proche où la nature irait mieux. L'espoir. Voilà sans doute ce qui la fait tenir. L'espoir d'un lendemain meilleur, l'espoir d'un futur où l'homme comprendrait enfin ses erreurs pour les réparer.

-La nature souffre. J'entends sa détresse. Elle me demande de l'aider, mais je ne sais pas comment faire.
- Il avait raison.
- De qui ?
- Mon père.
- À propos de quoi ?
- À propos de la nature.
- Tu ne peux pas dire explicitement pourquoi il avait raison à propos de la nature ?!
- C'est bon, c'est bon. Il m'a dit qu'elle allait mal, et effectivement, elle va mal.
- Il faut vraiment t'enlever les vers du nez pour que tu parles !
- Il a aussi dit qu'il n'y en avait plus pour longtemps, et que personne ne faisait rien pour changer les choses.
- Les hommes sont trop égoïstes.
- Ils ont trop à perdre.
- Oui, il ne pense qu'à eux.
- À cause de l'égo trop important de certains d'entre eux, tout le monde va en subir les conséquences.
- Tu peux le dire clairement, l'Homme va mourir.
- Ça fait froid dans le dos.
- Tu l'as dit.
- Le plus triste dans tout ça, c'est que c'est à cause de nous qu'on en est là.
- Plutôt à cause de nos ancêtres.
- Tu as bien déjà pris la voiture, mangé un paquet de biscuits emballé dans du plastique, ou acheté un truc dont tu n'avais pas réellement besoin ?
- Oui, comme tout le monde je pense.
- Alors tu as contribué à la dégradation de la planète.
- Enfin, il y a quand même une différence entre acheter un paquet de biscuits avec un emballage en plastique, et utiliser un jet privé quotidiennement.
- Certes, mais chacun y contribue de manière plus ou moins importante. C'est un fléau. Parce que personne ne veut prendre la responsabilité de commencer à changer les choses, alors personne ne fait rien pour changer.
- C'est pas bête. J'ai l'impression d'être en cours de philosophie.
- C'est vrai. Ça me manquerait presque. Presque. Le loup aussi dit que la situation est critique. Bientôt, plus aucun animal ne foulera cette terre. Bientôt, il n'y aura plus rien.

On continue notre chemin dans le silence, chacun perdu dans ses pensées. Même le loup semble pensif. Peut-être réfléchit-il à son prochain repas. C'est quand même assez paradoxale de voir une humaine près d'un loup, côte-à-côte, comme deux camarades amis depuis longtemps. La férocité du loup n'est sans doute qu'une idée reçue. Probablement qu'au fond, l'Homme est plus dangereux que le loup, ou tout autre animal. Aucun autre animal n'est capable de détruire le monde comme on l'a fait. Je crois que l'on détient la médaille d'or dans ce domaine. Et ce n'est pas une fierté.
Cindha se place face à moi, et se gratte la gorge, comme si elle s'apprêtait à me dévoiler un secret important.

-Ne me regarde pas comme ça ! Ce n'est pas facile de dire merci à quelqu'un !
- Tu viens pourtant de le faire.
- Oui, mais d'y ajouter de la conviction, des sentiments, et refouler cette petite voix qui nous dit que j'aurai mieux fait de ne pas t'emmener, ainsi que j'aurai très bien pu y arriver sans toi, ça, c'est dur.
- Ah la la, l'estime que l'on a de soi, qu'est-ce que c'est dur à ravaler parfois !
- Arrête de te moquer ! Plus sérieusement, je voulais te dire merci. Je sais que c'est rien par rapport à tout ce que tu as fait pour moi, mais je souhaitais que tu le saches.
- Arrête, tu vas me faire pleurer.
- Tu mérites tous ces mots.
- Tu sais, les amis sont faits pour ça.
- Tu dis tout le temps ça, mais aucun ami ne ferait ce que tu as fait.

Au fond de moi, je sais pourquoi je l'ai suivis dans cette folle aventure. Je sens mon cœur s'emballer quand j'entends sa douce voix parler, ou me crier dessus. Je pourrais me noyer dans ses yeux d'un vert pur comme je n'en ai jamais vu. J'admire son tempérament, et sa détermination. Mais bien sûr, je ne lui dis pas. Ça reste mon petit secret. Peut-être qu'un jour, la vérité éclatera, mais ce jour, ce n'est pas pour aujourd'hui.

-Tu te rappelles, je suis ami spécial, voilà pourquoi je t'ai suivi dans ta folie.
- Je reste quand même persuadé que c'est toi le plus fou.
- C'est fort probable, en effet.
- En plus, tu connais beaucoup de personnes capables de suivre quelqu'un qui ne sait même pas où il va, combien de temps il part, ou même s'il reviendra vivant ?
- Non, mais ne me compare pas à tous ces hommes trop égoïstes pour penser une seconde aux autres.
- J'ai vraiment de la chance de t'avoir. Merci mon ami. Merci beaucoup.

La fille aux yeux verts Où les histoires vivent. Découvrez maintenant