Chapitre 14 : Gabriel

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La bibliothèque. Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt ? Il doit bien avoir un livre, ne serait ce qu'un, sur les légendes. Je parcours les rayons avec fébrilité. Je dévisage un à un les livres qui s'offrent à moi, en déterminant si oui ou non, ils renferment le secret que j'essaie de percer. Entre nous, je ne vais jamais à la bibliothèque, ni au CDI, ou même dans une librairie. Je ne sais même plus si le CDI du lycée est encore ouvert. Pour ma défense, ces endroits sont devenus aussi rares que les arbres. Maintenant, tout se fait par internet. Il suffit de taper quelques mots sur la barre de recherche pour trouver ce que l'on cherche. Dans la mesure où cela existe, bien évidemment. Et puis, pourquoi lire de vieux bouquins poussiéreux, quand on peut regarder un film ou une série sur son téléphone ? Pas besoin de s'encombrer avec du poids inutile, tout se fait sur un petit appareil, qui pèse environ cent cinquante grammes. Ensuite, lire de nos jours, c'est un peu comme si quelqu'un avouait ses faiblesses ouvertement. C'est mal vu de lire et surtout d'aimer cela. Il n'y a que les vieux qui aiment ça. Et pour preuve, il est dix sept heures, et je suis le seul à être dans ce lieu, enfin, si on ne compte pas les nombreuses personnes âgées - pour faire plus jolie- qui sommeillent dans les fauteuils. Je trouve quand même cela triste de voir ces lieux désertés, au profit des téléphones, ordinateurs et autres gadgets. En parcourant toutes ces étagères remplies de ces ouvrages en papier, je me rends compte que derrière chaque livre, il y a un auteur. Une personne, un être humain, qui a un jour pris de son temps pour écrire des mots, des phrases, qui deviendront des pages et enfin un roman,ou encore, une bd, pour des lecteurs. Et les voilà entassés dans ces lieux, à l'ombre, et en chemin vers l'oubli. Même au lycée, tout se fait par ordinateur. Si tu avoues aimer les livres, tu deviens la risée du lycée. Je ne sais pas comment on a fait pour en arriver là. J'entends des pas venir de derrière moi et bientôt une dame d'un certain âge,que Yannis appellerait probablement "fossile", me demande :

-Bonjour jeune homme, ça fait bien longtemps que je n'ai pas vu de personne de votre âge dans ce lieu. Très longtemps même. Que vous amène-t-il donc là ?
- Bonjour, c'est vrai que ce n'est plus très commun de se rendre dans des bibliothèques.
- C'est bien dommage, je trouve. Voyez les livres comme un cadeau. Ils apportent la connaissance. Malheureusement, les jeunes d'aujourd'hui, et même les adultes, ne semblent plus être intéressés par le savoir.
- C'est ce que j'étais en train de me dire. Je ne sais même pas comment on en est arrivé là.
- Si tu veux mon avis, c'est la technologie qui est à l'origine de tout ça. Dès l'apparition de ces appareils électroniques, les intérêts de l'Homme ont changé. Ce n'était plus "le dernier livre écrit par untel" mais plutôt "le dernier post de machin". Devenir le plus populaire des réseaux, voilà le rêve le plus cher des jeunes d'aujourd'hui. C'est bien dommage, je trouve… Bon, je suppose que tu n'es pas venue là pour parlementer avec moi de votre génération…
- Pas vraiment, non.
- Alors, quel type de livre, roman, bd, cherches-tu ?
- Vous n'auriez pas des livres sur des légendes anciennes ?
- C'est original ! Oui, je pense qu'il doit m'en rester un. J'ai dû donner quelques caisses de livres pour payer ma dernière facture, et peut-être qu'il y avait des livres de mythe et d'histoires anciennes dedans…Mais bon, avec un peu d'espoir, tu trouveras ton bonheur dans celui-ci.

Elle me tend un ouvrage qui doit avoir pas loin de mille pages. Pitié, qu'il y est un sommaire au début du livre ! J'ai envie de courir à toutes jambes jusqu'à mon lit. Mais non, ce n'est pas au programme. À venir : deux heures de lecture en luttant contre le sommeil à chaque seconde.

-Merci beaucoup !
- Avec plaisir, petit gars, hésite pas à revenir quand tu le souhaites !
- Merci. Je vais aller m'installer dans un fauteuil.
- Je suis derrière le bureau, si tu me cherches.

Bon alors, regardons ce que contient cet ouvrage...Je suis sauvée, il y a un sommaire ! Ouf !

La création de la Terre
L'être humain et les animaux
Le soleil et la lune
Un autre monde
Pouvoir magique et Nature
La pensée
Rêver d'un autre monde
Oublier le réel
Monde imaginé
Derniers mots de l'auteur

Deux de ces titres attirent mon attention. "Un autre monde" et "Pouvoir magique et Nture". Page 340. Je lis en diagonale les pages, les tourne les unes après les autres, mais au fur et à mesure que les pages se tournent, l'espoir et la détermination ne sont plus au rendez-vous. Rien que des légendes employant des animaux à ailes magiques, à queue de feu…Bref, rien qui ne concerne le pouvoir "magique" de Cindha. Après plus de deux heures à feuilleter les pages des deux thèmes, aucune découverte. Il n'y a qu'un petit paragraphe dans "Pouvoir magique et nature", qui évoque un monde qui aurait coexisté avec la Terre, il y a quelques centaines d'années. La particularité de ce peuple serait ses pouvoirs magiques, et ses couleurs de yeux, en fonction de ce dernier. D'après ce texte, ce peuple vivrait dans un monde parallèle à celui des humains. On est en plein dans l'imagination. Mais, un petit détail me titille, c'est l'histoire des couleurs des yeux. À réfléchir, Cindha a les yeux verts, comme d'autres personnes sur Terre, mais ceux de Cindha sont plus…pures. Intenses. Et pour pousser ma réflexion jusqu'au bout, Cindha peut communiquer avec la Nature, avec un grand N parce que j'englobe aussi les animaux dedans. Et la nature, c'est…vert. Peut-être est-ce là la preuve que ce texte évoque les autres personnes, ou l'autre peuple, qui sont, ou est, semblable(s) à Cindha. Je prends en photo le paragraphe et sort de la bibliothèque.
Bip Bip Bip.
J'attrape mon téléphone et le numéro de ma mère s'affiche à l'écran. Un petit coup vers la droite et me voilà à pouvoir lui parler, alors que plus de six cents kilomètres nous séparent. Incroyable !

-Allô, chérie, tu m'entends ?
- Oui. Un peu trop fort même. Voilà, là c'est bon. Tu as besoin de quelque chose ?
- Oui. J'ai besoin de parler à quelqu'un de ma frustration.
- C'est au travail ?
- Le prince est en train de s'accaparer tous les pouvoirs !
- Tu es en train de me dire que le prince est en train de prendre le contrôle de la Terre ?
- Oui. Et tout le monde la laisse faire.
- Comment ça ?
- Et bien, personne n'ose le contredire. Tout le monde à trop peur de se le mettre à dos.
- En même temps, d'un claquement de doigts, il pourrait ordonner ta mise à mort.
- Il a profité des faiblesses des autres dirigeants pour s'accaparer le contrôle.
- Qu'entends-tu par "faiblesses" ?
- Les guerres, les conflits, les révoltes des peuples, etc…En résumé, tout ce qui a une conséquence sur la politique du pays concerné.
- …
- Et puis, tu t'imagines bien que le peuple ne sait rien de tout ça. Il est tenu dans l'ignorance.
- Ça me rappelle l'époque où les rois existaient.
- Les rois existent encore mais on emploi plus ce terme. Il est trop péjoratif. Mais, c'est ça, les monarchies sont en train de refaire surface. Ou plutôt, une monarchie puisque dans le cas présent, c'est une personne, le prince donc, qui s'accapare tous les pouvoirs.
- D'accord.
- Tu peux répéter ce que je viens de te dire à "lui".
- C'est qui "lui"?
- Tu le sais. Je ne peux pas dire son nom, car on est peut-être en train d'entendre la conversation. Je dois te laisser. Et oublie pas de tout raconter à "lui".
- Ok. Bisou maman.
- Je t'aime, mon chérie.
- Tu me manques.

Elle a déjà raccroché. A-t-elle entendu ma dernière phrase ? Ça m'étonnerait. De toute façon, c'est toujours comme ça. Le boulot avant la famille. Je vais voir mon père, le fameux "lui" à n'en point douter.

-Papa, j'ai un message de maman.
- Elle va bien ?
- Tu sembles soucieux.
- Oui. J'ai peur pour elle.
- Je ne sais pas si elle va bien, elle ne m'a rien dit de personnel. Juste une nouvelle à te transmettre.
- Oui ?
- "Les rois existent encore mais on emploi plus ce terme. Il est trop péjoratif. Mais, c'est ça, les monarchies sont en train de refaire surface. Ou plutôt, une monarchie puisque dans le cas présent, c'est une personne, le prince donc, qui s'accapare tous les pouvoirs."
- La situation est pire que ce je ne pensais. La fin est plus proche que ce que l'on croit. Bientôt, il ne restera plus rien de nous. Nous ne serons plus qu'un douloureux souvenir pour la Terre.

La fille aux yeux verts Où les histoires vivent. Découvrez maintenant