Chapitre 19 : Cindha

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J'entends les bruits du quotidien refaire surface dans mon esprit. Au loin, je distingue le ronflement de plusieurs dizaines de voitures qui s'apprêtent à prendre la route, le vroum des jets privés qui passent pas loin d'ici et, au fond de tout ce brouhaha des humains, je perçois un faible chant d'oiseau. Je sens leur mélodie vibrer en moi. J'aii la sensation que les arbres, les plantes, la végétation remuent leurs feuilles, leurs fleurs au rythme de celle-ci. J'ai le sentiment d'être loin d'ici. Très loin d'ici. Dans une autre dimension. Dans un monde où je serais le maître de celui-ci. Quel sentiment agréable que de me sentir, forte, puissante comme si rien ne pouvait m'atteindre. Pourtant, la réalité revient, comme une vague s'échouant sur la plage. Elle me fouette avec une telle haine et une telle force que j'ai l'impression de tomber. Je me raccroche à l'espoir de trouver des réponses. Je dois vérifier quelque chose. Je ne peux plus ignorer cette envie intense de savoir s'ils vont bien. J'ouvre les yeux doucement, le soleil du matin venant m'éblouir les pupilles. J'aperçois Gabriel, allongé à l'autre bout de la tente, qui paraît dormir comme un bébé. Je décide de ne pas le réveiller de suite, et sors du sac de couchage, afin de m'approcher de ma valise-sac. Je fouille toutes les poches, jusqu'à le trouver. Il est là. Je le serre contre ma poitrine, consciente que c'est la dernière chose qui me raccroche à mon passé, et à mes parents adoptifs. Mon téléphone. Je l'ouvre, et une image 3D se présente à moi. Mon père m'avait déjà montré un vieux téléphone qu'il utilisait quand il avait mon âge, le genre de portable qui n'avait pas d'écran 3D, et qui ressemblait plus à un rectangle tout fin qu'à un petit bijou technologique. Je me demande comment il faisait pour pouvoir voir en 3D ceux qu'il appelait. Il ne pouvait même pas voir de films en 3D sur son portable ! Heureusement que la technologie a évolué ! Vingt-cinq appels manqués. Preuve qu'ils sont inquiets. J'essaie d'imaginer l'état de ma mère à l'heure qu'il est, mais renonce à le faire. Trop de douleur et de tristesse en ressortent. Ils me manquent, terriblement. À chaque seconde. Je n'espère qu'une chose, pouvoir bientôt les serrer fort dans mes bras, et leur promettre que je ne partirai plus jamais. Mais je sais que j'ai pris la bonne décision en partant. Une partie de moi ne peut s'empêcher de me rappeler que là-bas, ce n'est pas chez moi. Je décide de ne pas les rappeler. Ce serait une mauvaise idée. Je dois me séparer de mon portable. Ils pourraient s'en servir pour me pister. Et puis, en ne l'ayant plus, je serais sûre de ne pas succomber à la tentation. Je sors de la tente sans faire de bruit, et place mon téléphone dans l'herbe. Durant quelques longues secondes, je reste là à observer cet appareil à l'écran tout noir. Puis, sans réfléchir, je mets un pied dessus, puis l'autre. Je me mets à sauter, les larmes coulant le long de mes joues, la rage me tordant l'estomac. Je dis au revoir à une période de ma vie. J'entends des bruits de pas venir de derrière moi, et aperçoit Gabriel me dévisageant comme si j'étais devenue folle.

-Heu…Tu es sûre que tout va bien ? Qu'est-ce que tu fais ?
- Je ne me suis jamais sentie aussi bien. Je dis au revoir à mon passé.
- Ça veut dire quoi concrètement ?
- Je démolit cette chose.
- Tu es en train d'écrabouiller ton téléphone ?!
- Oui. Et tu vas devoir en faire de même.
- Pour…pourquoi ?
- On ne doit plus se raccrocher à ce qu'on a vécu. Et puis avec ça, ils peuvent nous pister jusqu'ici, c'est trop dangereux.
- Cette mesure est-elle vraiment nécessaire ?
- Oui. Allez dépêche toi, après on repart.
- Ok, mais d'abord, on mange un morceau.
- Si dans trois jours, on manque de nourriture, ce sera de ta faute !
- C'est pas ma faute si tu n'as emmené que des sardines.

Il rentre dans la tente et en ressort quelques instants plus tard, son portable à la main. Je vois à l'expression de son visage qu'il lui en coûte de lui dire au revoir. Lui aussi doit penser à ses parents. Je n'en reviens toujours pas. Il est parti, il a tout quitté…pour moi. Une fille qui a débarqué dans sa vie il y a à peine quelques semaines, qui l'a envoyé balader dans les roses plusieurs fois sans remords. J'ai beaucoup de la chance de l'avoir. C'est vraiment un ami en or. Un ami, voilà ce que c'est. Il s'approche, et m'imite. Il dépose son appareil, puis commence par mettre un main dessus avant de décider d'y aller par la manière forte. En seulement quelques secondes, il ne reste plus que des pièces détachées de cet appareil qui est une prouesse technologique pour l'époque.

La fille aux yeux verts Où les histoires vivent. Découvrez maintenant