Chapitre 20 : Gabriel

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Je sais que Cindha est quelqu'un de spécial mais là, elle dépasse mon imagination. Je ne l'aurai jamais penser capable de parler le loup. Je ne savais même pas qu'il y avait des loups dans cette forêt.
Je recule lentement, très lentement même, en ne quittant pas des yeux cet amas de fourrure. Puis, comme par magie, Cindha se tourne vers moi, et semble enfin apercevoir mon existence. Elle me regarde, me dévisage plutôt, avant de parler :

-Tu te rends compte de ce que ça veut dire ?
- Que tu es devenue encore plus flippante qu'avant ?
- Mais non !
- Et bien, excuse-moi, mais ça sort de l'ordinaire, une fille qui parle à un loup en grognant.
- Tu ne dois plus être étonné maintenant ! Tu es toujours à côté de la plaque. Ça signifie que je peux parler aux animaux, tu te rends compte ! Je peux les comprendre. Je peux leur parler.
- Whaou…
- Tu sembles sceptique.
- Heu…disons que ton loup là, qui me regarde avec son air assassin, me fait un peu peur…
- Non ?! Tu as peur de lui ?
- Pardon, mais bon, je n'ai pas l'habitude d'être confronté à un loup. Vivant. Les seuls que j'ai vu, étaient des illustrations dans des livres pour enfants. Et puis, le gouvernement considère cette espèce comme disparue…
- Quoi qu'il en soit, il vient avec nous.
- T'es pas sérieuse ?!
- Si, très. D'après lui, il est le dernier représentant de son espèce.
- Et alors ?
- On ne peut pas le laisser seul ici ! Il ne survivra pas longtemps.
- Il a bien survécu jusqu'ici.
- Ce que tu peux être cruel ! Ais un peu de cœur quand même.
- Oui, oui. Bon, ok, il vient avec nous mais à une condition : qu'il reste loin de moi.
- Froussard va.
- Je tiens à ma vie.
- Bon allons-y. Va démonter la tente pendant que je rassemble les affaires.
- Ok.

Je déplie soigneusement la tente, en surveillant toujours le loup d'un œil méfiant.

-Gabriel !
- Quoi ?
- Tu lui fais peur ! Tu le fixes comme si c'était un monstre.
- Cindha, un seul coup de croc, et ce loup peut enlever la vie.
- Il ne le fera pas.
- Comment tu le sais ?
- Il me l'a dit.
- Alors, sa parole te suffit ? Tu lui fais entièrement confiance ?
- Oui.
- Tu es folle.
- Peut-être que oui, peut-être que non. De toute façon, moi je peux te le promettre, il ne te fera rien.
- Tu es sûr…?
- Tu as confiance en moi ?
- Oui.
- Alors crois-moi. Ah et dernière chose, il a dit que de toute façon, ta chaire n'est pas assez tendre pour lui.
- Très rassurant tout ça…
- Et qu'il ne mange plus de viande.
- Un loup végétarien, c'est la meilleure celle-là !
- Il n'y a plus de viande à manger. Il ne veut pas dévorer les autres animaux.
- Et pourquoi ?
- Parce qu'il a dû cœur, lui au moins. Pas comme tous ces humains qui ont tué bien plus d'animaux que tous les loups regroupés.
- Tu marques un point.
- Il a perdu sa famille, son clan à cause de nous, enfin des humains.
- Je suis désolée pour lui.
- Pour conclure, on représente une plus grande menace pour lui, que lui pour nous.
- …
- Bien, maintenant ce malentendu réglé, allons-y.

Le départ est donné. Bientôt, nous partons pour une nouvelle journée à vagabonder dans la nature. Il fait beau. Il fait bon. Le loup marche de l'autre côté de moi, près de Cindha. Cette dernière mène la marche, et semble déterminée à trouver des réponses.

-J'ai faim. On peut faire une pause ?
- Ah non ! Tu ne touches pas aux réserves de nourriture, elles sont déjà assez basses comme ça, surtout maintenant que l'on a une nouvelle bouche à nourrir.
- Alors quoi ?! Tu vas nous laisser mourir pour lui ?
- N'exagère pas.
- Je n'exagère pas. Tu n'entends pas mon ventre crier famine ?
- Mmmh. Attends.

Elle s'approche de moi et tend son oreille. Elle semble réfléchir, et quelques secondes plus tards, elle rend son verdict :

-Les résultats sont négatifs. On peut marcher encore au moins une heure avant d'arriver à l'état critique.
- T'es sérieuse ?
- Très. Fais confiance à mes talents de médecin.
- J'ai des doutes…
- Bon allons-y, on a déjà perdu trois minutes.

J'ai faim, j'ai faim et…j'ai faim. Mon ventre gargouille, et se contracte en spasmes de plus en plus forts, de plus en plus douloureux. Je regarde la montre de Cindha. Encore dix-sept minutes. Marcher devient de plus en plus compliqué. Je sens les courbatures arriver. Je garde la tête haute, en comptant le temps qui passe dans ma tête. Ces quelques minutes qui me séparent de manger, et de me poser, aussi. Je crois que je n'ai jamais fait autant de sport.

-On peut pas s'arrêter maintenant ? Je sens plus mes jambes.
- Non, il reste encore quinze minutes. Pense à quelque chose de joyeux.
- Peux pas. Dès que je me mets à penser, des images de pancakes, de gâteaux, et de burger, m'emplissent l'esprit.
- Et bien ne pense pas alors.
- Ah Ah, tu es drôle.

Je décide de compter chaque arbre devant lequel on passe. Je sais, c'est ringard, mais au moins, ça fait passer le temps. Vingt-trois, trente-six, quarante-cinq…C'est relou.

-Moi, j'en peux plus.
- Allez, encore sept minutes.
- Non. Je ne peux plus marcher.
- Un petit effort quand même, on dirait que tu es à deux doigts de mourir.
- C'est à peu près ça, oui. Pourquoi veux- tu absolument que l'on marche ? On peut faire une pause et reprendre dans vingt minutes. Le chemin ne va pas se rallonger.
- Ici, c'est dangereux. Plus on s'écarte de cette zone, mieux ce sera pour nous.
- Mais pourquoi ?
- Bon, ne me demande pas comment, mais la nature m'envoie des signaux de détresse pour me dire de ne pas m'attarder ici. Olgo aussi pressent un danger.
- Ok…C'est flippant. Mais dans huit minutes, on s'arrête ?
- Oui. Promis.

Je prends le temps d'observer les paysages. Des arbres, des ordures, des arbres, des ordures, et ainsi de suite. Pas le moindre bruit d'animaux. Pas le moindre chant d'oiseaux. Rien. Juste le murmure des feuilles caressant le vent, et le grondement sourd des ordures se soulevant du sol à cause de la force des courants d'air. Puis, alors que j'observais les arbres nous entourant, j'aperçois des petits points violets foncés sur l'un d'eux. Ils ressemblent vraiment aux mûres que j'ai déjà vu sur l'une des cartes de papa, quand il recense les espèces animales et végétales encore présentes aujourd'hui. Je jette un coup d'œil à Cindha, qui semble perdu dans ses pensées. Le loup ne paraît pas me prêter attention. Je regarde droit devant moi, et discrètement, de la main gauche, tire quelques uns de ses petits fruits. Je rapproche ma main de ma bouche et hop tout est dans celle-ci. Je sens d'abord un faible goût sucré avant que l'amertume ne fasse sa place sur mon palet. J'avale le tout. Je sens comme un faible gonflement dans ma gorge,  et un raidissement de mes membres. En touchant avec mes mains mes joues, j'aperçois que celles-ci ont doublé de volume.

-Gabriel ?! Qu'est-ce que tu as ?
- Je…je ne sais pas.
- Olgo me dit que tu as mangé des petites boules violettes présentes sur un arbre, c'est vrai ?
- O…oui.
- Ça ne t'arrive donc jamais de réfléchir avant de faire quelque chose ?! …

Je n'entends plus ce qu'elle me dit. Je distingue juste le timbre de sa voix, parler, de plus en plus fort. Je ne comprends aucun mot de ce qu'elle raconte. Je sens mes membres s'engourdir, ma tête tourner, et mes forces me lâcher. Je n'arrive plus à tenir debout. Je m'assois et ferme les yeux. Je me concentre sur ma respiration. Je souffle, je fais le vide dans ma tête. Et bientôt, je me sens tomber. Je m'étale par terre, et ma respiration se fait de plus en plus difficile. Mes poumons me brûlent. Je ferme les yeux et ma conscience s'envole.

La fille aux yeux verts Où les histoires vivent. Découvrez maintenant