#include <Le crime de rêver, je consens qu'on l'instaure. LOUIS ARAGON>
TIME / Hiver 2052 / "Présent" +767 jours /
// Le Docteur Meiller s'assoie prestement sur son siège à roulettes. Elle réajuste son chignon en tirant sur ses mèches GRISONNANTES. Le tissu de sa chemise se tend sur son torse, révélant une absence de toute graisse sur son corps squelettique.
— Qu'est-ce que je peux faire pour vous ? C'est à propos de Natsumi ?
/ Son soupire est plein de fatigue. Des poches VIOLETTES soulignent ses yeux tel un mauvais maquillage. Je me demande si j'ai bien fait de venir, comme ça, à l'improviste, bousculant son calendrier pour m'y placer moi, moi l'imposture.
— Pourquoi faire ce travail en plus du vôtre ?
— Quel travail ?
— Allez surveiller l'éthique au CRDD.
— C'est bénévole, c'est pas un travail.
— Pourquoi faire ce travail en plus du vôtre sans être payée ?
— Je vous aime bien, vous et votre droïde, mais j'ai pas tout mon temps.
/ Elle se tourne vers son ordinateur. De ma place, j'aperçois un tiers de planning. Comme un puzzle incohérent, les couleurs s'assemblent anarchiquement, se chevauchent dans un joli mélange de rendez-vous de routine et d'opérations cruciales. Combien de vie a-t-elle entre les mains ?
— Vous allez sauver Natsumi ?
/ La grande femme lève la tête. Ses traits creux ressortent sous la lueur BLEUÂTRE de son écran.
— Écoutez, je suis désolée mais... j'ai pas le temps d'en discuter.
/ Je sens que c'est vrai. Je sens qu'elle est désolée, triste, compatissante. Je sais qu'il n'y a que peu d'espoir que Natsumi s'en tire si bien.
/ Énergiquement, elle se remet debout. Elle veut que je parte, que je comprenne le message. Mais je l'ai saisi depuis plusieurs minutes déjà. Depuis qu'elle a passé sa main décharnée dans sa nuque sous l'impulsion d'un tic de frustration.
— Ma question est simple : est-ce qu'elle va mourir ?
/ Sourcils froncés. Elle se rassoit plus lentement. Ses gestes saccadés trahissent son épuisement. Elle ne tient que grâce à ses nerfs, la caféine comme essence, si ce n'est autre chose de moins légal.
— Vous savez, la médecine c'est pas une science exacte... Encore moins quand on commence à la mélanger à l'électronique.
— Il y a un moyen de la soigner ?
— Oui, et c'est ce que j'essaierai demain. Mais... C'est comme une maladie auto-immune. Son corps est son propre ennemi. J'essaierai, mais...
/ À nouveau, elle me fait comprendre que je dois partir en détournant son attention sur ses travaux. Ma main se serre sur le ticket de cinéma dans ma poche. « Le fabuleux destin d'Amélie Poulin ». Quel meilleur film à voir avec Natsumi ? Elle a pleuré, et moi aussi. Je ne veux pas que notre histoire disparaisse.
— Si c'est son corps le problème, remplacez-le.
— Ça marche pas comme ça ! Et même si c'était possible, c'est un corps humain qu'il lui faudrait. Et, à ce que je sache, on a pas encore trouvé le moyen de transférer une conscience.
/ Ses longs doigts noueux font tourner son crayon GRIS dans de larges cercles proprement exécutés.
— Je vous autorise à essayer sur moi.
/ J'arrache mon bonnet et repousse mes cheveux de mon front, la main plaquée sur l'arrière de ma tête. Une expression surprise traverse son visage. Elle daigne enfin me regarder dans les yeux. J'ai les bras qui tremblent et les jambes qui flagellent. J'ai la bouche sèche, la voix éraillée. Mais je n'ai aucune idée de ce que je fais.
— Allez-y, trifouillez-moi dans le crâne tant que vous voulez. Même si je meurs, je suis prêt à lui donner ma vie.
/ Bouche bée, Meiller prend deux secondes avant de répondre. Elle articule, à l'excès.
— Non. Je ne ferais jamais ça.
/ Il fait froid dans son bureau. L'hiver glacé pique ma peau nue.
— D'accord.
/ Je lâche mes cheveux, remet mon bonnet. La chaleur de la laine me fait du bien. Je ne peux rien faire.
— Je ferai ce que je peux. Mais sacrifier un humain pour un droïde : jamais. Gardez à l'esprit ce qu'elle est, un robot programmé pour aimer, pour être attachant, pour être affectueux. Mettez pas votre vie en jeu pour une illusion...
/ Je hausse les épaules. Elle ne peut pas comprendre. Elle ne peut pas savoir que sans Natsumi je serai mort 100 fois. Que rien ne m'aurait maintenu entre ces murs GRIS. Que rien n'aurait coloré ce monde.
— Je suis désolée, continue-t-elle alors que je quitte ma place sans un mot, mais l'éthique passe avant tout. Avant la science, avant le progrès, avant moi s'il le faut. Pour le cas de votre amie, je me mets déjà beaucoup en danger. Je peux pas faire plus.
— Merci. Merci beaucoup pour ce que vous faites.
/ J'ouvre la porte. La poignée gelée m'arracha un frisson.
— Docteur Meiller.
— Oui ?
/ Est-elle soulagée que je m'en aille ? Que pense-t-elle de moi ? Elle doit me trouver bizarre. Lunaire. Perché. Lugubre.
— Vous sacrifiez tous vos jours pour sauver ceux des autres. Ne vous oubliez pas.
/ La docteur a un mouvement de recule. Je sors et referme la porte derrière moi. Elle doit me trouver stupide. Dire ça après avoir proposé d'échanger ma vie contre celle d'un robot.
VOUS LISEZ
Les Anges ne vont pas en Enfer
Ficção Científica❊ Ce n'était qu'un droïde semblable à cent mille autres. Mais j'en ai fait mon amie, et elle est maintenant unique au monde. ❊ En l'an 2050, la mode est aux...