#include <Comme un souffle laisse sur la peau la douceur d'un baiser et le souvenir que ce fut le dernier... EHOUARN HUBART>
TIME / Hiver 2052 / "Présent" +766 jours /
// Trois jours plus tard, Natsumi est morte. Mais avant, nous nous sommes vus deux fois. Une journée pluvieuse. Presque un jour d'automne dans la fin de l'hiver.
— Bilal.
— Oui ?
/ J'aime ses questions. Sa manière moelleuse de prononcer mon nom. J'aime le son de ma voix qui lui répond. J'aime ces instants similaires et répétitifs pourtant spontanés et inattendus. Elle a beau rester immobile sur sa plaque de verre, j'ai beau rester immobile, assis sur le rebord de la fenêtre, nous bougeons. Nos âmes, nos esprits, nos pensées, nos émotions bougent. Dansent. Courent. Nous dansons.
— C'est toi qui m'as donné le courage.
— Le courage de quoi ?
— J'ai choisi d'accepter, Bilal. Accepter que je suis un objet qui a été acheté, que je le serai toujours aux yeux de tous, et que je me devrai de laisser mon propriétaire retrouver les pleines capacités de son achat.
— Quoi ?
/ Mon murmure est BLANC. BLANC comme le visage d'un cadavre, comme les phalanges crispées de douleur, comme le gèle qui enserre soudain mon cœur.
— J'ai choisi d'accepter, Bilal, et j'aurais choisi de m'abandonner à ce sort si tu n'avais pas été là.
/ Je n'ose pas rompre le silence, de peur que l'espoir qui se glisse dans la pièce ne prenne peur et s'échappe au moindre mouvement.
— Il y a une docteur pour humain qui vient tous les mois ici. Elle ne fait rien, mais parfois elle note des choses sur un papier. Elle ne fait rien d'autre, à part tenir son papier, et me dire bonjour quand elle entre. Aux yeux des autres, elle ne fait rien, mais moi je sais que c'est déjà beaucoup.
/ Une docteur avec un crayon, qui respecte les droïdes.
— Le Docteur Meiller ? hasardai-je doucement pour ne pas effrayer l'espoir.
— Oui. Elle est venue hier. Je lui ai parlé. Elle a été désignée pour inspecter le CRDD d'un point de vue éthique. Je lui ai parlé et elle a tout de suite compris. Ce que toi tu as découvert en moi, ce jour-là, qui t'a donné envie de me revoir.
/ L'espoir s'approche sur ses pattes de velours. Il renifle mon genou. Je lui tends la main, il sursaute, puis raidis le museau.
— Elle va me réparer.
/ L'espoir bondi, écarquille les yeux et se fige. Ou peut-être que c'est moi qui ai bondi, les yeux écarquillés, et qui me fige à côté de Natsumi.
— Te réparer... Elle va... Elle va te tuer ?
— Non, Bilal. Elle va me libérer. Elle va réparer la défaillance de mon corps pour que mon esprit puisse y rester. Elle va m'enlever le système de sécurité. On pourra partir. Ensemble.
/ L'espoir se frotte à mes chevilles. Je ne réponds pas. Je veux que cette seconde demeure ainsi pour l'éternité.
— Si elle n'arrive pas à me sauver, ça me réinitialisera. Et on me rendra à mon propriétaire. Mais j'ai confiance.
— Je peux te prendre dans mes bras ?
— Oui.
/ Je me jette en avant. J'enserre son petit corps contre le mien. Je pleure. J'enfouis mon nez dans ses cheveux. Je pleure et je pense à ma mère. À son sourire, à ses gâteaux à la cannelle, à la pièce de Soan qui tournoyait dans la lumière ORANGE. Je pleure et je pense à mon père qui me portait haut, les mains sous mes épaules. Je pense à l'araignée sous le sommier et elle ne me fait plus peur.
— Je suis heureux Natsumi, putain que je suis heureux.
— Moi aussi. Mais j'ai peur. J'ai peur que ça ne fonctionne pas. J'ai peur de souffrir. J'ai peur que tu ne puisses pas être là à mes derniers instants, j'ai peur que tu n'ailles pas bien, j'ai peur que le docteur Meiller ait des ennuis à cause de moi... Mais, grâce à toi, je n'ai plus peur de m'opposer au monde. C'est toi qui m'as donné le courage.
— Je suis heureux.
/ Natsumi éclate d'un rire sonore qui se noie dans ses larmes.
— Ce sera quand ?
— Dans deux jours. Je veux que ce soit au moment du crépuscule, quand le ciel est encore rose et bleu. Je veux me libérer au moment où on ne verra plus le Soleil. Puisque je n'ai plus peur de la nuit. Comme ça, si je dois disparaitre, je rejoindrai les étoiles et tu pourras me voir dans le ciel.
— Comment je saurais quelle étoile tu es ?
— Je te ferais un signe.
— Natsumi, j'ai pas l'intention de vivre plus longtemps que toi si tu disparais.
— Tu penses que je suis la seule personne bénéfique dans ce monde ?
/ "Parfois oui", je pense. Parfois ?
— Oui.
— Alors c'est que tu n'as pas bien cherché.
— Je t'ai cherché toi.
— Il y a plein de choses que je veux faire après.
— Moi aussi.
— Je veux aller à la mer.
— Je volerai une voiture. Je t'y emmènerai.
— Je veux manger des chichis dans une grande roue.
— Il y a le marché de Noël tous les ans.
— Je veux que tu dessines encore sur les murs. Je veux que tu vives, même si je meurs.
— Moi aussi je voudrais que tu vives.
— Je veux que tu montres tes poèmes.
— Comment tu sais que j'en écris ?
— Je te connais.
— J'en écris sur toi.
— Je le sais.
— Si tu meurs...
— ... alors je veux que tu sois heureux, mais que tu ne m'oublies pas.
— C'est me souvenir de toi qui me rendra heureux.
/ Le silence explose soudain. Explose de couleur, de rires inaudibles, d'incertitudes mélodieuses, d'énergie vibrante.
— Moi aussi, je veux que tu me promettes quelque chose.
— Quoi ?
— Si le Paradis existe, je veux qu'on s'y retrouve.
— Je te l'ai déjà promis, je t'y retrouverai.
— Il faut que je m'en aille, mais je crois que je ne peux pas partir sans toi.
— Je veux aller au cinéma.
— Alors, allons-y. Maintenant.
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Les Anges ne vont pas en Enfer
Ficção Científica❊ Ce n'était qu'un droïde semblable à cent mille autres. Mais j'en ai fait mon amie, et elle est maintenant unique au monde. ❊ En l'an 2050, la mode est aux...