Les Anges ne vont pas en Enfer

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#include <Il faut avoir du chaos en soi pour accoucher d'une étoile qui danse. Ainsi parlait Zarathoustra. EMMANUEL KANT>

TIME / Printemps 2052 / "Présent" +768 jours /

// C'est le premier jour du printemps. La vie est trop douce.

/ Cette musique trop harmonieuse. Cet arbre trop beau. Ces feuilles qui tombent trop gracieusement sur ces pavés trop propres. Ces gens trop calmes à ces terrasses trop désertes. Et ce vent trop mou qui pousse ces pigeons trop téméraires.

/ Je viens de quitter l'usine. Je cours jusqu'à l'arrêt de bus. Je suis en retard. Le bus aussi.

/ Trop de chance.

/ Je m'engouffre dans l'habitacle quasi vide. Le conducteur me jette un regard suspicieux dans son rétroviseur, mais son Appareil bip en VERT et il se rassérène.

/ Je m'assoie, essoufflé. Il est 18H47, L'opération ne Natsumi commençait à 30. Je suis en retard et je n'aime pas ça. Je n'aime pas ça du tout.

/ À l'exact même instant, à 4 kilomètres, 386 mètres et 3 centimètres du lieu où se trouve Bilal, Natsumi regarde depuis la salle d'opération le dessin sur l'immeuble d'en face. C'est un tag que Bilal a mis toute la nuit à tracer, tout son cœur, tout son portefeuille pour acheter toutes les couleurs. « Les Anges ne vont pas en Enfer ». ROSE. BLEU. JAUNE. Les lettres entremêlées dans des ailes BLANCHES. Il entre dans son œil BLEU, remonte le long du câble qui le relie à son cerveau. Les polarités s'échangent. Une infinité de signaux électriques grésille entre les axones métalliques de ses neurones. Une impulsion se détache, s'écarte des autres. Trop occupées à faire le tour du cerveau, elles ne remarquent pas l'impulsion qui s'échappe vers aucun câble, vers aucune matière, vers aucune réalité physique. Une impulsion qui vit, seule, indépendante, et qui file vers son cœur. Un cœur intangible, invisible. Mais il y a des choses, comme la Vodka, qui sont invisibles et pourtant réelles.

/ En une fraction de seconde, l'ultime image qu'aura Natsumi du monde s'est transformée en magnétisme, en courant électrique, puis en énergie mystique.

/ Pour combler le temps intenable, inarrêtable, angoissant, je tourne les pages de « L'analytique du beau ». Je lis « Il faut avoir du chaos en soi pour accoucher d'une étoile qui danse ».

/ À l'exact même instant, à 4 kilomètres, 203 mètres et 8 centimètres du lieu où se trouve Bilal, Natsumi ferme les yeux.

/ 17 minutes et 32 secondes plus tard, Bilal entre dans le Centre de Réparation des Droïdes Défectueux. Il ferme les yeux, lui aussi, pour contenir ses larmes intenables, inarrêtables, angoissantes. Il doit tourner une page.

/ 2 heures, 45 minutes et 20 secondes plus tard, on la rend à son propriétaire. Réinitialisée, comme neuve, et Bilal y assiste depuis la rue opposée où l'homme en costard GRIS prend doucement l'épaule de Natsumi, comme s'il avait peur de la casser.