Hugo avait lui aussi du sommeil à rattraper et il dormit toute la journée. Héléna Michel se retrouva mêlée à ses rêves.
Il lui avait demandé comment elle avait eu l'idée de feindre un malaise dans le bureau de Sidek, ce qui avait interrompu le discours malheureux de l'ambassadeur. Elle avait révélé qu'elle avait fait du théâtre quand elle était adolescente.
— Je n'étais pas mauvaise, je crois, avait-elle raconté. J'en ai fait aussi à l'université. La première année, en tout cas. Et puis, lors d'une représentation de Shakespeare, le journal étudiant a dit que j'avais été ridicule dans le rôle de Lady Macbeth. Ça m'a beaucoup blessée. J'ai arrêté le théâtre.
Hugo rêva de cette représentation particulière. Héléna était en danger sur scène, le public criait, son partenaire la menaçait... Il rêva qu'il sautait sur scène et l'entraînait très loin, à l'abri...
Il se réveilla désorienté, se demandant s'il était en France ou ailleurs. Une longue douche lui remit les idées en place.
Le soir venu, il contacta le colonel Ravel par la liaison sécurisée.
— J'ai des photos. Avec la cible, entourée de suspects très identifiables.
Pas de noms propres, c'était la règle, conversation cryptée ou pas.
— Excellent. Vous les avez transmises ?
— Oui, en plusieurs exemplaires. J'ai autre chose, aussi.
— Quoi donc ?
— Un sachet. Je suis sûr de son contenu, même si je ne l'ai pas ouvert. Il y a sûrement des empreintes à relever dessus.
— Très bien. Gardez-le bien à l'abri. Je préviens un agent pour qu'il vienne le récupérer. Il vous donnera le mot de passe pour que vous puissiez l'identifier.
— C'est entendu. Il y a autre chose : ce que j'ai collecté pourrait innocenter le Français arrêté pour trafic le mois dernier.
Il y eut un silence, puis Ravel glissa :
— Honnêtement, ce devrait être le cadet de vos soucis.
Hugo eut un haut-le-corps.
— Eh bien, ça ne l'est pas. Il a été victime d'un coup monté parce qu'il avait surpris la cible en compagnie compromettante. C'est grâce à lui que l'affaire a fait un bond en avant.
— J'entends bien, mais je ne vois pas comment agir sans ruiner votre couverture.
Hugo pensa fugacement que s'il n'utilisait pas ses informations pour aider Mathis Monod, Héléna ne lui pardonnerait jamais.
— Ma couverture est déjà bien entamée, dit Hugo avec une grimace. Le chef sioux m'a grillé auprès de la cible. Pour plaisanter, il lui a dit qui j'étais, et la cible s'est saisie de l'information tout de suite.
— Voilà qui est très fâcheux ! Pourquoi ne le disiez-vous pas tout de suite ? Votre vie est en danger. Il faut vous exfiltrer rapidement.
Hugo crispa sa main sur le téléphone. Il ne voulait pas partir, pas tout de suite, pas comme ça. Il avait des objectifs en tête.
— Pas encore. Je dois mener à bien la mission, ce qui n'est pas encore le cas. Je vous dirai quand je serai prêt.
— Entendu. C'est à vous de décider. Mais ne prenez pas de risques inutiles. Vous n'avez pas fait tout ça pour rien.
C'était bien l'avis de Hugo lorsqu'il raccrocha. Cependant il était très ennuyé par la légèreté avec laquelle Ravel avait écarté la possibilité de sortir Mathis Monod de prison. Le jeune Français pouvait peut-être paraître quantité négligeable pour un vieil habitué du renseignement, mais Hugo n'était pas encore indifférent à ce point. Il espérait ne jamais le devenir.
Son autre téléphone sonna, l'officiel, cette fois. Hugo ne reconnut pas le numéro mais décrocha.
— Oui ?
Une voix en malais, avec un rythme précipité, difficilement compréhensible. Hugo eut des sueurs froides en se demandant si ce n'était pas un appel de menaces. Puis il se ressaisit et put alors reconnaître la voix de Rajat, le domestique de Sidek qu'il avait soudoyé.
— Je ne comprends pas. Parlez plus lentement.
— J'ai été arrêté. Je suis au poste.
— Pour quelle raison ?
— C'est pas votre problème. Mais il faut me sortir de là.
— Comment pourrais-je faire ça ?
— Ça, c'est votre problème, répliqua l'autre avec hargne. Parce que je vous préviens. Si je dois aller en taule, je dirais tout sur vous. Sur votre micro. Sur ce que vous faites.
Et Rajat raccrocha. Hugo se massa les tempes. Quelle semaine.
Il contacta Buisson ; il connaissait la prudence de son secrétaire. Il lui demanda de se renseigner discrètement sur le motif de l'arrestation de Rajat, ainsi que le lieu de sa détention. Il préférait ne pas s'éloigner de chez lui dans l'immédiat.
Buisson eut le bon sens de ne demander aucune explication, ni sur cette requête, ni sur l'absence prolongée de son chef. Il se posait beaucoup de questions, certainement, mais lui au moins n'ouvrait pas la bouche. Pas comme cet idiot de Blanchard.
Buisson rappela quelques heures plus tard, alors que la nuit était bien entamée. Le dénommé Vishen Rajat avait été arrêté le jour même pour détention d'images pédopornographiques, lesquelles avaient été découvertes sur son téléphone.
Hugo étouffa un gémissement horrifié. Voilà donc l'homme qu'il avait choisi comme relais fiable auprès de Sidek. C'était un bien mauvais choix ! Son instinct ne lui avait envoyé aucun signal d'alerte. Il devait vraiment faire des progrès en tant que juge des caractères.
De même, il avait réellement cru que Héléna Michel l'avait trahi auprès de Sidek. Tout faux, là encore.
Pour en revenir à Rajat, Hugo se refusait à faire sortir un tel individu de détention. Que la justice royale suive son cours. En revanche, il ne tenait pas à ce que Rajat révèle tout ce qu'il savait sur lui en échange d'une indulgence de la justice.
Il devait gagner du temps.
— Buisson, demanda-t-il, je voudrais que vous trouviez un avocat local pour cet homme et que vous m'envoyiez la facture des premiers honoraires.
— Oui, monsieur Fohl.
Hugo raccrocha. Il devait gagner du temps auprès de Rajat. Auprès de Sidek. Auprès du colonel Ravel.
Il avait encore du pain sur la planche.
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Les ambassades sont remplies d'espions (terminé)
MaceraHéléna, vingt-trois ans, nouvelle coopérante d'une ambassade en Asie, ne se doute pas qu'elle va être mêlée à une affaire d'espionnage pleine de dangers. Son supérieur, Hugo Fohl, cherche-t-il à la protéger ou à l'utiliser ? Au programme: sauver un...