Chapitre 7 - Partie 2

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Dévorée par la curiosité, je me coulai contre l'imposant socle qui soutenait le buste en marbre de Paros du bisaïeul d'Archibald Gifford, dont la fraise dentelée et les moustaches fournies semblaient comme monter la garde devant la bibliothèque de Meursdale Place. La porte de ladite bibliothèque était entrouverte, et les rires de mon frère et de Hugh Daniels, qui s'en échappaient au gré de leur conversation, m'avaient attirée sitôt après j'eus pris congé de Henry Clinton. J'étais alors en chemin pour retrouver Caroline, dont le majordome m'avait dit qu'elle se trouvait en cuisine, à goûter les différents plats qui seraient servis à l'issue du bal qui devait avoir lieu quelques jours plus tard.

Installée tant bien que mal entre la statue et le mur, j'entendis, à quelques pas de là, la porte d'entrée de la demeure se refermer sur le comte de Lincoln, mais la voix de James, soudain fort sérieuse, me fit tendre l'oreille :

— L'engagement requis, quoi que fort intéressant, n'est guère négligeable... ce que tu me proposes là réclame mûre réflexion. Tu comprendras donc que je prenne quelques jours avant de te donner ma réponse.

Un verre vide tinta contre le bois d'une table.

— Prends le temps qu'il te faudra, James. Je t'ai confié l'estime en laquelle je te tiens en tant qu'ami et la confiance que je sais pouvoir t'accorder en tant que partenaire. La place que je t'offre restera la tienne tant que tu ne l'auras formellement refusée, assura Hugh Daniels.

— D'autant qu'elle est encore chaude après le brusque décès de ton associé... commenta James, dont le ton flegmatique dénotait avec ce que ses mots laissaient entendre.

Je plaquai ma main sur ma bouche pour étouffer une exclamation d'inquiète stupeur. Dans quelle mauvaise affaire le contrebandier aux yeux verts tentait donc d'entraîner mon frère ?

— Seras-tu chez White's, ce soir ? reprit ce dernier.

Un fauteuil grinça légèrement, et des pas lestes se déplacèrent sur le parquet.

— Je ne saurais te dire. Voilà trois jours que je n'ai réussi à voir William, et je dois l'entretenir d'une affaire urgente qui représente une priorité pour moi. Cela dépendra donc de lui.

— Naturellement. Et je comprendrais tout à fait que d'autres affaires urgentes te tiennent occupé ce soir. J'ai ouï parler de ton arrivée fracassante chez le duc de Beaufort, scandalisant toute la bonne société réunie là pour un événement des plus respectables, toi le marin flibustier, si fringant au bras d'une certaine lady...

Si la voix de James s'était fait gentiment railleuse à l'égard de son ami, elle avait réveillé quelque chose d'étrange dans ma poitrine. Il me semblait soudain vital d'entendre la réponse que lui apporterait Hugh Daniels... Retenant mon souffle, je posai la main sur le mur et me penchai le plus qu'il m'était possible vers la porte de la bibliothèque. Aurais-je rêvé ? J'aurais juré entendre l'entendre soupirer. Pourtant, il répliqua, d'une voix également narquoise :

— Ainsi que tout Londres, comme de bien entendu ! Ainsi que tout Londres...

Malcommodément appuyée contre le mur, je sentis que ma main dérapait comme une ancre mal assurée sur un fond marin instable. Fort heureusement, je réussis à me rétablir de justesse avant que de tomber à plat ventre devant la porte en entraînant le buste dans ma chute. Dio bono ! J'espère n'avoir fait trop de bruit ! songeai-je, cédant un instant à la panique alors que les battements redoublés de mon cœur me paraissaient résonner comme un tocsin dans le couloir désert. Mais alors, la porte de la bibliothèque s'ouvrit, et la haute silhouette de Hugh Daniels se découpa sur le sol. Je me figeai, bloquant jusqu'à ma respiration dans une tentative désespérée de ne me faire prendre à écouter aux portes.

L'Appel du couchantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant