Des petits coups impatients résonnèrent contre la porte de ma chambre.
— Olivia, nos parents sont arrivés et les autres convives ne devraient plus tarder, rappela James, la voix quelque peu étouffée, derrière le pan de bois.
— Je descends dans moins de cinq minutes ! signifiai-je, luttant pour fixer une pivoine pâle dans ma coiffure relevée – le tiraillement désagréable de ma cicatrice m'empêchait d'utiliser la pleine capacité de mon épaule, par ailleurs tout à fait remise de sa blessure.
Gillian terminait, quant à elle, de nouer le fin ruban noir qui paraît le haut de ma pièce d'estomac. Une épingle oubliée entre ses lèvres, elle s'appliqua ensuite à attacher dans mon cou un ruban, noir également, orné d'une étincelante pierre de tourmaline rose taillée en coussin.
— Mademoiselle, vous voici prête... et magnifique ! sourit-elle.
Mon reflet dans la glace en pied lui donna raison, et je la remerciai pour son superbe travail. La robe de taffetas changeant, un cadeau de Mare que j'étrennais ce soir-là, d'un rouge si pâle qu'il en paraissait parfois rose, mettait ma carnation claire parfaitement en valeur, et son éclat s'en voyait rehaussé par ces touches de noir qui soulignaient mon cou, ma poitrine et ma taille – cette dernière par une ceinture de velours dont le toucher était un rêve de douceur. Le manteau de la robe, aux bras courts, s'ouvrait sur une jupe bouillonnée d'un blanc de lait, de la même teinte que les manches de ma chemise de batiste qui retombaient souplement sur mes coudes. Je m'approchai du miroir pour apprécier l'éclat de mes boucles d'oreilles de perles favorites, puis pris quelques secondes pour vérifier que l'ecchymose de ma joue avait bel et bien disparu, même si cela faisait deux jours que je l'avais déjà constaté. Rassurée par ma mise et par ma présentation, je m'apprêtai à rejoindre James qui m'attendait dans le couloir et à aller profiter de ce qui s'annonçait comme notre dernière soirée de fête à Meursdale Place – nous devions tous et toutes quitter Londres quelques six jours plus tard – quand je croisai mon propre regard. Ce que j'y lus m'intrigua : il me semblait ne plus tout à fait me reconnaître. Mon visage et ma silhouette me restaient bien sûr familiers, mais l'éclat qui dansait, vivace, au fond de mes yeux sombres était inédit... et point déplaisant.
Je me souris à moi-même, et ce sourire également me parut différent : moins charmant, moins coquet, mais plus franc, plus assuré. Je repensai alors à l'éclat de rire de Mayora dont j'avais tant admiré l'audace, dans le labyrinthe, quelques semaines plus tôt, et il me parut que j'avais peut-être gagné un peu de cette force qui la caractérisait, durant ces trois mois passés à Londres qui avaient eu la richesse de trois années entières. Oui, c'est quelque chose comme cela ! comme si ce séjour m'avait amené à grandir... que dis-je ? à mûrir bien plus vite que l'usage, songeai-je. Je ne suis plus la même Olivia qui a quitté le Dorset, désespérée d'avoir une vie sienne. J'ai enfin commencé de me découvrir, de m'écouter, d'apprendre à devenir moi-même... oh, que j'ai désormais hâte de l'avenir !
Tournant le dos à mon reflet sur un dernier sourire satisfait, je quittai la chambre, le pas vif et l'esprit léger.
Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un soupir de contentement en arrivant sur la grande terrasse qui surplombait le jardin de Meursdale Place. La fin de journée s'annonçait belle, baignée dans la douce lumière de soir d'été d'un soleil qui avait cessé de brûler pour ne plus que nous bercer : la fraîcheur de l'intérieur de la demeure formait un agréable contraste avec l'exquise chaleur du dehors, qui m'avait délicieusement enveloppée dès lors que j'avais fait un pas sur cette terrasse.
Des lanternes et des guirlandes de fleurs avaient été suspendues partout à l'extérieur, aussi bien dans les arbustes en pots trônant sur la terrasse que dans les massifs et arbres du jardin, et les innombrables candélabres sur pied promettaient de diffuser une lumière enchanteresse une fois la nuit tombée. Si, plus tard, nous dînerions dans l'herbe, la table ayant été richement dressée sur le parterre central, Caroline avait fait monter, sur le dallage de crémeuses pierres de Portland, un véritable salon d'extérieur composé de deux bancs et de plusieurs chaises recouvertes de coussins moelleux en lampas vert tendre et de trois petites tables de service, le tout en fer forgé peint en blanc.
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L'Appel du couchant
Historical FictionDerrière les fenêtres blanchies par le givre de sa demeure, Olivia Brookehurst n'attend qu'une chose : que sa vie commence enfin. Aussi, quand son amie Caroline l'invite à séjourner à Londres pour la fin de la saison, elle n'hésite pas une seconde...