Chapitre 21 - Partie 2

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Ma mère et mon père me rejoignirent après leur souper, amenant avec eux les effluves délicieuses d'épices et de cognac qui me faisaient me sentir de retour à Wimborne House. Sitôt assise face à mon lit, Mare me pressa de leur narrer mes aventures de la nuit précédente, et d'expliquer les raisons pour lesquelles je m'étais trouvée confrontée à ces dangers qui, jamais, n'auraient dû concerner une jeune fille de mon rang. Fermant mon cœur à l'anxieuse colère qui exsudait dans sa voix impérieuse, ignorant vaillamment le regard indéchiffrable de mon père, j'obéis et exposai toute l'histoire, depuis la vente à l'encan chez la duchesse de Beaufort jusqu'aux événements du Four Flounders.

Je racontai les nouvelles des étranges cambriolages qui nous étaient revenues aux oreilles sans que quiconque ne semblât réellement s'en préoccuper, ainsi que ma rencontre avec ce cher Henry, l'amitié qui nous avait liés au-delà de la cour qu'il m'avait menée – ma mère esquissa un sourire approbateur. Sans préciser les raisons qui m'y avaient poussée, j'évoquai les leçons d'escrime que j'avais commencé de prendre auprès de Monsieur de Saint-Martin, et devinai, à cette mention, le passage d'un furtif éclat de fierté sur le visage buriné de mon père. Je décrivis, à mots choisis, la nuit où j'avais découvert l'intrusion des malfaiteurs à Meursdale Place et, priant pour ne pouvoir me troubler des souvenirs brûlants que la mention de son nom convoquait en mon esprit, l'enquête que menait Hugh à leur sujet.

Enfin, j'en vins aux événements de la veille : j'expliquai la déduction fulgurante qui m'avait frappée lors que Henry avait signalé qu'une nouvelle effraction, chez Lord Howard, avait trouvé funeste issue, comment nous avions décidé de nous mettre en quête de Hugh pour faire remonter cette information aux autorités compétentes, et la recherche de ce dernier qui nous avait menés chez Lady Powys où nous avions rencontré le Lord grand trésorier de la Reine. Parvenue à ce stade de mon récit, Mare laissa échapper une exclamation stupéfaite et ouvrit sa belle bouche pour m'interrompre, mais Sir Richard posa une main tempérante sur son bras et, d'un regard, m'enjoignit de poursuivre.

Je relatai alors, dans le détail, le stratagème que Lord Harley avait élaboré, et son exécution avec le concours de Lady Powys et de Henry. Je ne tus point mon implication dans ces événements, avouant sans honte ni gloire la peur qui avait cisaillé mes entrailles pendant ces longues heures d'attente, et l'énergie que j'avais mise à me défendre face à un adversaire qui me redoublait en taille et en poids. Les seules choses que je passai sous silence furent les sentiments que j'éprouvais à l'égard de Hugh, jugeant qu'il était trop tôt pour encore les évoquer auprès de mes parents, et la découverte de ce mystérieux document caché dans le cadeau que je prévoyais d'offrir à Mare ; je ne trouvais sûr d'en parler à quiconque avant d'en avoir informé Hugh et, à travers lui, les autorités du royaume.

Lors que j'eus fini, légèrement hors d'haleine, je me confrontai au silence pensif de mes deux parents. Je pris alors le temps de me verser et de boire un verre d'eau afin de conserver quelque contenance. Enfin, après ce qui me parut de longues minutes, ma mère prit la parole, de sa belle voix de contralto qui vibrait d'une émotion contenue :

— Je ne saurais te dire l'horreur qui est la mienne d'imaginer les périls que tu as traversés, Olivia...

— J'en ai réchappé ! protestai-je.

— Ne me coupe pas la parole, me fia, avertit-elle, le sourcil soudain sévère, d'autant que je m'apprêtai à te témoigner de ma fierté. Tu as su faire montre d'autant de courage que d'esprit pour aider à la résolution d'une affaire qui intéressait en haut lieu, et pour en affronter les conséquences qui auraient pu s'avérer... tragiques !

Elle agita son éventail d'ivoire pour apaiser son émoi.

— Je ne te tiendrai point rigueur de ces libertés qu'en véritable fille de Venise, tu as prises avec ton cœur, mia cara*, reprit-elle avec chaleur, sous l'œil approbateur de mon père. Il semble par ailleurs que tes compagnons et ta compagne aient tout intérêt à garder cette mésaventure secrète, et nous veillerons à ne point l'ébruiter non plus, afin que ta réputation ne s'en voie entachée.

L'Appel du couchantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant