Chapitre 17 - Partie 1

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— Olivia ! Vous n'imaginez pas quel immense plaisir est le mien que de retrouver mon petit merle favori. Votre charme et votre fraîcheur dans ce rouge capucine font honneur au souvenir que j'ai chéri de vous pendant mon absence.

Lord Clinton me prit les deux mains pour les baiser avec révérence. Il resplendissait dans son habit de soie céruléenne, et sa chemise ivoire mettait merveilleusement en valeur le léger hâle qu'il avait attrapé lors de son séjour dans le Somerset. Henry me parut plus beau qu'il ne l'avait jamais été et, si l'effet de ses baisers, en comparaison de ceux de Hugh, me parut aussi différent qu'une pièce d'opéra interprétée par un violon soliste dans un salon anglais plutôt que par un orchestre complet dans une salle de concert vénitienne, mon cœur tomba dans ma poitrine lors qu'il leva vers moi l'éclat souriant de ses attrayants yeux noisette.

Je l'avais trouvé, comme convenu, à patienter dans le salon du premier étage après mon dîner tardif que, moulue de fatigue et pétrie d'appréhension, j'avais été incapable d'honorer. Henry était arrivé à l'heure que je lui avais proposée, mais la crainte de notre entrevue m'avait fait tergiverser de longues minutes dans ma chambre. J'avais beau être résolue à faire preuve d'honnêteté et de sincérité face à cet homme bon et généreux, qui ne méritait pas moins, il m'était difficile de rassembler mon courage. La culpabilité tordait mon ventre, car j'avais l'impression de l'avoir trompé ; Henry avait témoigné de sa hâte et de son plaisir à me retrouver, et moi, j'allais lui annoncer que mon cœur était engagé ailleurs... Bien sûr, le comte ne m'avait rien promis, mais la cour qu'il m'avait faite pendant plusieurs semaines avait été suffisamment explicite pour que je ne doute point de son inclination envers moi. J'étais terrifiée à l'idée qu'il imagine que je m'étais jouée de lui et qu'il m'en garde griefs durables, tandis que je n'espérais plus qu'une chose : que cet homme que j'estimais profondément accepte de demeurer mon ami. J'étais donc fort nerveuse lors que je le retrouvais, et la chaleur qui émanait de son sourire ajouta encore à mon malaise.

— Henry, vous êtes un vil flatteur : je sais fort bien que mon visage trahit le peu d'heures de sommeil que j'ai réussi à grappiller après l'aurore, tentai-je de badiner.

Je rougis toutefois de ma réponse équivoque. Il va falloir faire preuve de plus de tact, Olivia... Heureusement, Henry ne parut point s'étonner de mon attitude. Je l'invitais à s'asseoir sur un fauteuil damassé de vert, pris place à son côté et sonnai la cloche pour demander qu'on nous serve du café.

— Racontez-moi votre séjour dans le Somerset, Henry. Votre tuteur, le vicomte de Weymouth, devait être heureux de vous revoir ?

— Si fait, d'autant que le pauvre homme ne rajeunit point, et qu'il se trouve bien seul dans cette grande demeure... Après avoir survécu à ses trois enfants, il doit à présent porter le deuil de son épouse bien-aimée, qui n'a pas survécu au froid glacial de cet hiver. Longleat, cette maison si belle et si vivante autrefois, ressemble à un mausolée. Je crains que ce séjour n'ait été le dernier, car je ne vois pas Lord Thynne mener longue vie, désormais... exposa Henry, une pointe de mélancolie dans la voix.

Émue par sa tristesse, je posai spontanément ma main sur la sienne et la serrai pour lui transmettre ma chaleur.

— Je suis navrée de vous l'entendre dire, Henry. Je sais qu'il peut être fort difficile de renoncer aux endroits qui nous ont rendus heureux, et c'est peut-être un sentiment encore plus douloureux lors qu'on sait que ce sont les derniers instants que l'on y passe...

Henry m'adressa un sourire de gratitude, et porta son regard sur nos mains jointes, ce qui me fit prendre conscience de mon geste. Je retirai aussitôt ma main, rouge de confusion.

— J'ai ramené un délicieux gâteau aux pommes, qui n'a heureusement guère souffert du voyage, reprit Henry, toujours souriant. La vieille Annie, la cuisinière de Longleat, n'a pas son pareil avec les douceurs, et je suis bien aise de pouvoir vous faire ainsi goûter un peu du Longleat que j'ai connu. Vous souvenez-vous que, lors de ma première visite, j'avais évoqué la possibilité de vous y amener un jour ?

L'Appel du couchantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant