Chapitre 12 - Partie 2

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Quatre jours plus tard, j'eus enfin l'occasion d'un tête-à-tête avec James dans la voiture qui nous menait à Lincoln House, où nous avions été conviés par Henry à assister à un concert de son ami Georg Haendel. Cela faisait longtemps que nous n'avions point été seuls tous les deux et, outre les sujets dont j'étais curieuse de m'entretenir avec lui, j'étais heureuse de profiter de ce moment privilégié ; à voir les yeux pétillants de mon frère, ce plaisir était partagé.

— Tu sembles te plaire à Londres, sorellina, fit-il remarquer en soulevant le rideau qui occultait l'ouverture de la portière. Allons, bon ! nous risquons d'être ralentis : une charrette a renversé son chargement au coin de la rue...
— Oui, je suis heureuse ici, acquiesçai-je avec vivacité. Comment ne pas l'être, dans une ville dont le cœur bat si fort, et si vite ? Chaque semaine amène son lot de nouvelles joies ! Songe un peu... hier, nous admirions la grande Anne Oldfield jouer Andromaque pour la première fois ! dans quelques jours, nous souperons chez Jonathan Swift avec la fine fleur des poètes de notre époque et, ne serait-ce qu'aujourd'hui, nous sommes conviés à voir Georg Haendel jouer des extraits de son prochain opéra ! Dans quel autre endroit au monde pourrions-nous jouir de ces insignes privilèges ? Ne te plais-tu point ici ? Quel meilleur endroit que Londres, pour étendre l'empire familial et y asseoir ton influence ?

Mon frère éclata du rire franc et communicatif qui le caractérisait, évitant habilement le piège de mes dernières questions.
— Que ton enthousiasme est réjouissant, après ces terribles mois d'hiver où j'ai bien cru que nous te perdrions pour de bon... Je suis bien aise de te savoir heureuse, petite sœur.

Ses lèvres affichèrent alors un sourire madré ; on eût dit un enfant qui préparait quelque mauvais coup.
— Et l'intérêt que te porte certain gentleman, celui-là même qui nous invite en sa demeure ce jour d'hui, serait-il étranger à cette félicité qui t'anime ?

Mes joues se colorèrent sous l'allusion ; je ne pus retenir une moue espiègle alors que le doux visage de Henry me venait à l'esprit.
— Hen... Lord Clinton, me repris-je, est un homme que j'estime et apprécie beaucoup. Je suis très honorée qu'il trouve plaisir à ma compagnie et...
— Ne me sers pas de tels discours convenus, sorellina, pas à moi ! me brocarda James, l'œil piquant. Parlons franchement : tu étais prête à l'appeler par son nom de baptême, ce qui trahit une intimité que toute la société soupçonne depuis le bal des Gifford. J'espère cependant que tu as su rester mesurée vis-à-vis de lui... A-t-il exprimé ses intentions à ton égard ?
— Oh, James ! Pourquoi dois-tu ramener l'intérêt du comte de Lincoln à une éventuelle promesse de mariage ? protestai-je, vexée que mon frère bien-aimé se comporte avec moi comme il l'eût fait avec un quelconque client. Même s'il faut reconnaître que nous nous plaisons en la compagnie l'un de l'autre, il me faut te rappeler que nous ne nous sommes vus que trois fois, dans des conditions tout à fait irréprochables, et que nous sommes encore loin de ces considérations !
— On a vu futurs époux se connaître moins encore avant que de se marier... et je ne m'informais point tant d'un engagement officiel que d'éventuelles fausses promesses qui auraient pu t'être adressées. Mais pardonne-moi, Olivia. Nous n'avions encore eu l'occasion d'en parler ensemble, et la rumeur populaire a pu m'induire en erreur quant à l'avancement de votre relation.
— Eh bien, fratello, la prochaine fois, n'hésite pas à venir directement m'entretenir de tes inquiétudes à mon sujet plutôt que de prêter l'oreille aux racontars d'autrui ! pestai-je. Il me semble que nous vivons encore sous le même toit !

James posa une main apaisante sur mon bras, en gage de réconciliation.
— Tu le sais, et je te le redis : jamais tu ne subiras la moindre pression de ma part sur la nécessité de ton mariage. C'est la croix qu'il me revient de porter, en ma qualité d'aîné, et je refuse de te la partager... affirma mon frère, d'une voix devenue fort sérieuse.

L'Appel du couchantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant