Chapitre 14 - Partie 1

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Zéphyr est de retour ! L'air s'embaume de parfums suaves, son pied déchaussé agite l'onde...*

Mes doigts menaient une danse exaltée sur les touches du clavecin de Meursdale Place ; le temps éclatant de cette journée de juin avait délicieusement échauffé mon sang de Vénitienne, et la perspective du bel après-midi qui nous attendait, Caroline et moi, m'avait mise dans d'excellentes dispositions. Nous étions en effet invitées par Lady Somerset pour une joyeuse demi-journée de distractions dans les jardins de Beaufort House ; entre autres réjouissances, il était notamment prévu que l'on joue au mail, et c'était là un jeu pour lequel j'avais quelques talents et auquel j'étais ravie de pouvoir m'adonner à nouveau, car ce serait la première fois de cette saison. Prête avant mon amie, je donnais libre cours à ma bonne humeur en chantant mon madrigal favori de Monteverdi, dont j'aimais la musicale exubérance et le texte de Rinuccini, inspiré d'un poème de Pétrarque, qui célébrait l'euphorie d'un printemps revenu.

— ... et en murmurant dans les verts feuillages, ce vent doux et léger fait danser les fleurs dans le pré au son de sa belle mélodie...**

James avait fait irruption dans le salon de musique ; nos deux voix mêlées avaient achevé le couplet dans la tradition la plus pure de l'exécution de ce madrigal composé pour deux voix. Je reposai mes mains à plat sur le clavier pour lui offrir un sourire rayonnant.

Che felicità, fratello !*** Cela fait bien trop longtemps que nous n'avons pas fait de musique ensemble ! C'est, à tout le moins, inacceptable.

— Il faut dire que notre rythme de vie a changé, depuis que nous avons quitté Wimborne House... fit doctement remarquer mon frère. Malgré leurs nombreuses qualités, nos hôtes ne sont pas aussi friands de musique que nous le sommes, et les occasions de se retrouver tous les deux ont été fort rares. Je sais toutefois que ton talent et ta voix sont applaudis dans tous les salons mondains, cela ne suffit-il pas à assouvir ton manque ?

— Ce n'est pas la même chose... soupirai-je en faisant résonner un « ré » grave du bout de mon majeur. L'exercice de la représentation m'est difficile, car je ne joue point pour la gloire, mais bien pour l'expression la plus intime de mes émotions. Je n'aime point exécuter, mais interpréter ; et je ne suis jamais meilleure interprète que lors que, seule, j'ai le loisir de choisir mon auditoire, ou lors que, à plusieurs, j'ai le bonheur de jouer avec toi ou avec Madre.

— Nous retrouverons bientôt ce plaisir, sorellina... me rappela James, faisant allusion à notre retour prochain dans le Dorset.

Mon regard se perdit par la fenêtre, tandis que mon ouïe attrapait le tumulte de la rue qui bourdonnait derrière les carreaux.

— Quel dommage qu'il faille, pour cela, renoncer à tous les autres...

Je ne sais si James avait saisi ce que j'avais murmuré entre mes dents mais, si tel était le cas, il ne put relever : Caroline faisait son entrée dans le salon, rose, blonde et fraîche comme le vent d'ouest que nous venions de chanter. Sa robe volante de soie blanche rayée de bleu de guède mettait ses prunelles exquisément en valeur et mon frère, jouant les gentlemen, s'inclina devant elle avec un sourire de circonstance :

— Madame la vicomtesse, je ne peux que fléchir le genou devant votre apparition... Cette tenue que l'on dirait tissée dans des fils de rosée de printemps vous sied à ravir.

Je crus percevoir une pointe d'insolence dans sa voix ; fronçant les sourcils, je m'apprêtai à lui offrir une réponse un peu verte, mais Caroline partit de son rire cristallin et infligea un coup d'éventail sur la tête de l'impertinent.

— Je ne crois pas vous avoir autorisé à me brocarder, James. Je retiendrai toutefois le compliment qui affleure sous la raillerie, et je vous remercie d'ainsi distinguer cette nouvelle création de ma couturière, qui m'a valu, au bas mot, un mois de rente ! Mais avez-vous distingué votre si jolie sœur de la même manière, elle qui porte ce rêve d'indienne de coton ? Oh, Olivia, lève-toi que j'admire ce merveilleux motif ! Diantre, et cet adorable casaquin ! Je ne savais pas que tu possédais pareil trésor...

L'Appel du couchantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant