Chapitre 9 - Partie 2

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L'attachement affiché du comte de Lincoln m'assura, pour la suite de la soirée, un certain succès. L'on pressa Caroline, Amy et Henry, ainsi que la duchesse de Beaufort de m'être présenté ; la tête pleine d'une foule de nouveaux visages et de nouveaux noms, je n'eus ainsi pas une danse de répit. Si cette soirée était l'occasion de fêter le retour du comte et de la comtesse de Richbury, elle marquait également mes débuts dans la société londonienne et je savais quel plaisir prendrait Madre à lire le récit de ce petit triomphe dans la lettre que j'avais prévu de lui écrire dès le lendemain.

— Mon cher Swift, permettez-moi de quérir de nouveau la compagnie de la charmante mademoiselle Brookehurst ! Il me faudra malheureusement quitter cette belle fête dans quelques instants, je suis attendu pour un rendez-vous prévu de longue date...

Jonathan Swift, dont l'ironie mordante avait irrigué notre fort plaisante conversation et nourri un rire que j'avais de plus en plus de mal à maîtriser, hocha sa tête ronde avant que de répondre à Henry, qui me l'avait présenté une demi-heure plus tôt :

— A la bonne heure, mon ami ! Je vous cède volontiers ma place avec cette ravissante demoiselle. Vous n'êtes toutefois pas sans savoir que son esprit est aussi vif que sa beauté : contrairement à ce dont vous pouvez avoir l'habitude, il vous faudra donc faire preuve d'intelligence pour la satisfaire de votre compagnie.

— Naturellement. Je tiens d'ailleurs à vous exprimer toute mon admiration pour la constance avec laquelle vous avez diverti mademoiselle. Toutefois, mon cher Swift, n'oubliez pas que, dans l'art de la conversation, la victoire n'est pas toujours mesurée par la quantité de rires, mais bien par la qualité du dialogue !

L'échange, vif et malin, entre les deux amis avait été un plaisir à suivre ; face à l'écrivain irlandais, célèbre pour sa plume satirique, Henry n'avait point démérité, et Mr. Swift salua sa répartie victorieuse avec un rire sonore.

— Vous maniez les mots avec une adresse remarquable, mon cher. Mon invitation à rejoindre le Scriblerus Club tient toujours, pensez-y !

Lors que nous fûmes en la seule présence l'un de l'autre – dans la même alcôve où j'avais discuté avec Amy au début de la soirée –, je demandais à Henry en quoi consistait ce fameux club.

— Est-ce un endroit où les gentlemen se réunissent, à l'instar de White's ?

— Du tout, mon joli merle – m'autorisez-vous à vous appeler ainsi ? Il s'agit plutôt d'un groupe littéraire d'intellectuels, dont l'esprit est fort versé dans la satire, qui se réunit autour de Jonathan et d'Alexander Pope. Vous avez certainement entendu parler de ce dernier ? Ils se retrouvent surtout chez le Dr. Arbuthnot, dans ses appartements de Saint-James's Palace. Enfin, voici pour vous, de quoi vous désaltérer après la conversation, que j'imagine fort engageante, de mon ami Swift... Passez-vous une bonne soirée, Olivia ?

J'acceptai de bonne grâce la coupe de vin de Champagne qu'il avait apportée et dont la fraîcheur me fit, effectivement, du bien. Je pris le temps d'une longue gorgée avant que de répondre :

— Je dois vous avouer que je n'aurais jamais imaginé m'amuser aussi follement. J'ai tant dansé que je risque de ne pouvoir poser un pas devant l'autre demain !

— Rien d'étonnant à cela. Je ne vais point vous rebattre, de nouveau, les oreilles avec la longue liste de vos qualités, mais il est tout à fait naturel que vous ayez éveillé l'intérêt de nombre de personnes ici, ce soir.

— Et il me semble qu'en cela, je vous dois beaucoup ! répliquai-je, lui adressant un clin d'oeil effronté.

— M'en voudriez-vous de si clairement afficher ma préférence ? souffla Henry, la voix soudain plus rauque.

L'Appel du couchantOù les histoires vivent. Découvrez maintenant