FBI infiltré

Chapitre 17 - Tache d'encre

Point de vue de Davis

Alexia voudrait être un oiseau.
De tous les animaux qui existent sur cette Terre, c'était le seul que j'envisageais pour elle, elle qui semble à la fois si fragile mais aussi tellement libre. Il y a quelque chose en elle de mystérieux, quelque chose qui me laisse penser qu'elle est bien plus que cette fille collante qui aime me faire chier. J'ai toujours pensé que j'étais un cas désespéré, comme si j'étais une vieille âme abandonnée par la vie. Mais, la vérité, c'est qu'auprès d'elle, je me sens entier. Et, c'est un sentiment qui me fait flipper.

Je n'ai jamais vraiment su qui j'étais et encore moins qui je serai plus tard. Une chose est sûre, c'est que jamais, je ne m'étais imaginé finir ma vie enfermé ici. Je me suis toujours sentie comme une vulgaire tache d'encre qu'on trouve sur le manuel de la vie parfaite. Une tache d'encre qui rend le tout illisible. Je me suis souvent promené dans la ville, totalement bourré, à la recherche de la personne que je suis au fond de moi. Si la plupart des personnes se promènent sans raison, ce n'était pas mon cas. L'alcool me permettait de faire taire mon cerveau qui bouillonne sans arrêt. À la place du cerveau, j'essayais de penser avec mon cœur. Je me suis perdu, plus d'une fois. Augmentant un peu plus à chaque fois la taille de cette tache d'encre que je suis. Je me sens en trop dans ce monde. J'ai trop de passion, mais aussi trop de trauma. J'ai trop d'amour à donner, mais aussi peur d'être abandonné. J'ai longtemps marché dans les rues, sillonnant les trottoirs et les bars du quartier, à la recherche désespéré de cette autre personne. Cette autre personne qui se sentira aussi comme une vulgaire tâche d'entre et qui me dira que tout va bien, que je ne suis pas seul. Je me suis souvent comparé aux personnes que j'ai croisées sur mon chemin, mais la vérité, c'est que je suis trop différent. Quand je regarde mon reflet dans leurs pupilles, je ne vois que le vide. Parce que c'est ce que je suis, c'est ce que j'ai toujours été : une enveloppe corporel vide, démunie de toute âme ou personnalité sympathique. J'ai essayé de changer, plus d'une fois. J'ai suivi une thérapie, j'ai lu des bouquins de développement personnels, j'ai fait des voyages humanitaires... La seule chose que j'ai retenu de tout ça, c'est que je suis trop différent pour leur ressembler. Alors qu'ils ont la facilité de mettre leurs pensées sur pause, j'en suis incapable. Je me sens comme un meuble Ikea, j'essaye désespérément de me monter à l'endroit mais je n'ai aucune notice. Et, jusqu'à présent, j'y ai trouvé que les vices.

Puis, il a fallu que je tombe sur Alexia en prison. Cette fille qui me redonne espoir mais qui est arrivé trop tard dans ma vie. Cette fille qui apparaît comme la forme d'une sublime tache d'encre qui camoufle une page à elle seule tant elle semble cacher qui elle est.

Je n'ai pas réellement de modèle en ce qui concerne les relations entre hommes et femmes. Fisher n'était pas du genre tendre avec ma mère. La seule chose que j'ai apprise de lui, c'est le chaos et la violence. J'ignore si il sait que je l'ai reconnu, lui qui est parti de la maison alors que je n'avais que trois ans, laissant ma mère enceinte et moi dans une précarité immense. Je ne sais pas pourquoi et comment cela est possible, mais j'ai tous les souvenirs de mon enfance, de mon plus jeune âge jusqu'à maintenant. Donc bien évidemment que je sais que ce mec est une ordure. Il est arrivé comme surveillant dans la prison peu de temps après mon arrestation, bien sûr, il a préféré être dans le secteur femme et il ne m'a presque jamais adressé la parole. Pas réellement de changement entre maintenant et mon enfance, bien que j'aurais préféré qu'il soit un peu moins lâche, mais que surtout, il ne s'en prenne pas à Alexia.

Mon beau-père, quant à lui, était encore pire que Fisher. Quand ma mère a accouché, il s'en est pris à toute ma famille, en particulier à ce nouveau petit être, trop petit pour se défendre. Ma mère avait sombré dans l'alcool, trop faible mentalement pour lui dire de dégager de la maison. Alors, c'est mon frère et moi qui prenions ses excès de rage et de colère pour des broutilles. Il suffisait qu'il ait la chiasse après avoir mal digérer quelque chose pour qu'il s'en prenne à nous. Quand mon frère avait 10 ans et moi 13, on a pris la décision de fuguer de la maison, de sortir de ce chaos. Nous nous sommes retrouvés à la rue pendant plusieurs mois, évidemment notre mère n'a même pas essayer de nous retrouver, trop inconsciente pour se douter que nous étions partis. Je prenais soin de nous, j'étais devenu le père que j'aurais aimé avoir. Un jour, j'ai trouvé une vieille maison abandonnée, ça a été notre nouveau chez-nous. Nous n'avions pas le chauffage, l'électricité ou même l'eau courante, mais au moins, nous avions un toit au-dessus de notre tête. J'ai mis beaucoup de temps à trouver suffisamment d'argents pour nous offrir un peu plus de confort, et lorsque enfin, j'ai eu 16 ans, j'ai commencé à travailler dans une pizzéria. Ça m'a permis d'avoir un peu d'argent de côté, du moins, avant que je me fasse choper pour les vols que j'avais commis dans le passé. J'ai rapidement été renvoyé, aucune boutique ne veut avoir un voleur comme employé.

Quelques années plus tard, nous avons appris le décès de ma mère. Les médecins légistes ont déterminé deux causes du décès, sans vraiment pouvoir dire laquelle en est vraiment à l'origine : les coups subits ou l'overdose. Mon beau-père a pris la fuite peu de temps après. Il a totalement disparu des radars.

Je repense à tout ce passé, tout ce vécu en étant allongé sur ce lit, dans cette cellule minuscule, avec toujours cette odeur de moisie qui semble imprégné mon corps tout entier. Je suis nostalgique d'une époque où tout allait bien, où l'on fêtait Noël dans la joie et la bonne humeur. Où l'on rentrait de l'école et que ma mère nous avait préparée un bon petit plat et nous demandait de raconter notre journée. Je suis nostalgique de tout ça, alors que je ne les aie jamais vécus. Ma vie est misérable. Mais, j'ai cette lueur d'espoir qui a pointé le bout de son nez il y a peu, cette lueur d'espoir qui s'appelle Alexia.