Sur les traces d'une Oméga - L'appel de la Louve (Tome1)

Chapitre 3

Shanarielle

Les secondes s'éternisent et se changent en minutes de silence assourdissant. Ma bouche reste close. Je suis victime d'un sortilège invisible, il n'y a pas d'autres explications.

Mes oreilles bourdonnent en rythme avec mon pouls. Ma respiration hachée n'allège en rien l'étau écrasant qui me comprime la poitrine. Spectatrice de ma propre déchéance, je ne sais comment me sortir de ce mauvais pas. J'ai perdu le contrôle de ma vie depuis bien longtemps maintenant. Ce soir est la preuve irréfutable que je ne peux plus garder pour moi cette intruse ingérable. Mon propre corps me trahit, ma face s'émiette de jours en jours. Aucune de mes simagrées ne pourra prolonger cette misérable prestation. Cette agonie. La seule et unique certitude que j'ai en ce moment, c'est que je suis sur le point de tourner une page. Celle de sombres semaines d'insomnies, de comédies et de larmes.

La main chaude de mon père a migré de mon genou à mon épaule en un contact rassurant. Leur attitude se veut détendue mais en réalité ils sont tous inquiets et suspendus à des explications qui peinent à trouver ma voix pour alliée. Les iris émeraudes de ma mère m'inspectent et voyagent entre mon père et moi. Ma soeur se racle la gorge en les observant aussi. Parvient-elle à saisir ce qu'ils essayent de se dire dans cet étrange muet ? Aucun mot ne sort de leur bouche, néanmoins, je pourrais jurer qu'ils communiquent. Leur comportement me déstabilise. Opaline me lance un regard rassurant et plein de soutien. Elle balaie à elle seule mes dernières craintes, je ne suis plus seule. Je ne l'ai jamais vraiment été en réalité et ce constat me vrille l'estomac de regrets. Comment ai-je pu penser une seconde que leur mentir était la meilleure solution à envisager. Celle qui sauverait les apparences ? Maintenir péniblement une distance de plus en plus insupportable, pour des résultats si pathétiques ?

Malgré leur présence contenante je me sens perdue et vulnérable avec ce tourbillon d'émotions intérieures qui fait rage. Une chose est sûre, le jeu n'en vaut plus la chandelle.

Un courage inédit déferle dans mes veines. J'inspire profondément et me lance. Je sors progressivement de mon aphasie et plonge dans le récit détaillé de mes tourments. J'énumère les mésaventures tumultueuses que je vis depuis des semaines.

Sans pouvoir retenir quoi que ce soit, je me noie dans le flot haché de mes angoisses, incompréhensions et déséquilibres qui ont posé leurs bagages sur le radeau qu'est ma vie sans mon foutu consentement. Je parviens enfin à mettre des mots sur ce qui me terrifie. J'évoque les murmures énigmatiques, les échos insaisissables qui me hantent sans discontinuer jour et nuit. Seul le crépitement de la cheminée accompagne mon monologue. Personne n'interrompt ma litanie. Les poumons en feu, le souffle court et la gorge sèche, j'ai l'impression d'avoir couru un marathon avec le diable aux fesses.

Je termine enfin mon éprouvant récit en gigotant sur le canapé. Je me triture machinalement le bracelet que mes parents m'ont offert quelques années plus tôt. Comme si ces petites perles multicolores tissées dans le cuir en un motif de formes géométriques pouvaient avoir un quelconque pouvoir de réassurance. Mon esprit tourbillonne dans une tornade de pensées chaotiques. Ma famille est bouleversée, ça ne fait aucun doute. Mon soulagement est tellement libérateur que je me préoccuperai des conséquences plus tard. Tout ce que je veux maintenant, c'est retrouver mes proches. Et tout oublier.

Comme si ma mère avait cerné mes intentions, elle se lève souplement et s'agenouille face à moi. Elle me relève tendrement le menton dans un geste léger tandis qu'elle attrape mes mains torturées avec la seconde. Sa peau est douce. Rassurante. Comme lorsqu'elle me consolait la nuit, petite, après de terribles cauchemars. Elle avait ce visage fin et apaisant, un regard aimant. Ce soir, son expression me stupéfie. Ses yeux sont larmoyants. Son teint est pâle. Je ne l'ai jamais vue attristée. Jamais.