Fragment 15 : D-Day - Into the Jaws of Death

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Fragment 15 : D-Day - Into the Jaws of Death 


C'est le grand jour, le va-tout. Tout est très mal engagé, je suis épuisée, n'ai jamais réussi à compléter le tiers de ce que l'on attendait de moi, mais pas question de céder ! je n'y crois plus, me persuade du contraire. J'ai pris mon briquet automatique, comme un porte-bonheur, et surtout parce que je veux me payer une cigarette sur la route. L'occasion enfin d'oser appuyer, d'affronter la peur. Fumer sera une première, il paraît que ça déstresse : si la drogue permet d'avoir de meilleures performances...


- « Dîtes, Will, que feriez-vous si devant vous s'annonçait la fin du monde ? 

- Je la vivrai avec mon chéri. Et je l'écourterai juste pour garder la main. »


Au boulot, ça y est : les petites roues sont retirées, je découvre le véritable rythme escompté, et on m'ajoute encore des consoles. Pire, des gens viennent nombreux à tour de rôle observer, gribouiller leurs petits calepins. A leurs soupirs, leurs ricaneries, je comprends qu'ils me jugent, peut-être se moquent de moi. Je tente de les ignorer, mais cela n'augure rien de bon. J'essaye de tenir – fi des assourdissantes alertes qui frappent mes tympans ! Je m'échine, je combats sur les plages, les collines, dans les champs, les rues ! Je me jette à corps perdu, pour mon frère, pour ma mère, pour ce qui compte ! Je lutte, qu'importe le ressac ! qu'importe le poids ! qu'importe les blessures ! je force, je force, ça doit passer ! il n'y a plus le choix : c'est la grande bataille de mon temps.

En début d'après-midi, l'infâme manager, qui pense sûrement que la provocation est la clé de ma productivité, surgit avec un sourire et un paquet :

- « Voilà ce que vous valez, supposé que vous valez quelque chose. Partez livrer ça aux Ressources Humaines, en H4510. Et vite ! ensuite, vous rappliquez. »

Le colis est massif, l'aile H, à l'autre bout de la Société. J'y vais à travers un déluge de pièces angoissantes, un gigantesque open space entièrement vide, un couloir dont les parois se délavent, suintent vers un gris blanc oppressant. Je tombe nez à nez sur mon adelphe :

- « Qu'est-ce que tu fais ici ? Ne me dis pas que t'as encore lamentablement foiré. Redresse la tête ! arrête avec ton regard fuyant ! »

Je continue ; chaque pas est d'une lourdeur, demande une énergie démesurée. Et j'avance de si peu... Ma chair, mes os, mes muscles, ça craque de partout, ça se déchire, ça se brise. Une salle de stockage de données. Sur les disques durs tournent en boucle les mots de mon frère : 

« J'espère que t'as pas foiré. » 

« Ne me déçois pas. » 

« Arrête. »

La gravité est tellement forte, je ne peux quasiment plus bouger. J'essaye de passer une porte, mais soudain m'effondre, paralysée, tremblante. Je suis en larme, échouée contre le mur. Je tente de me relever, rien ne répond, tout est au-delà de mes limites. J'ignore combien de temps je suis restée là, les tempes battantes, livide comme morte. J'ai sombré. Ça n'a jamais voulu, ça ne voudra jamais. Pourquoi ? pourquoi suis-je misérable ? Mon corps inerte, dans une cruelle position, le paquet qui l'écrase, la poignée si proche. Au bout d'un moment, je devine qu'on me secoue. Un technicien apparaît au-dessus de moi. Il me parle, inaudible. 

- « La porte », c'est la seule chose que j'arrive à dire.

Alors il l'ouvre. Un air frais s'engouffre, presque brûlant, la lumière du jour. L'informaticien me saisit par les bras, me redresse, me dépose prudemment à demi-adossée. Je parviens à demeurer ainsi debout, fébrile, les cheveux collés. Le monde tangue, cependant vite je me risque à quelques pas. Je n'ai même plus la force d'être surprise que derrière cette embrasure se trouve la sortie des bureaux sous un soleil déclinant. Une enjambée pesante et je shoote le colis à livrer, qui part rouler à l'extérieur et se met à sonner, une alarme de dix secondes ; je dois fermer les yeux, résister à la forte nausée. On me rattrape avant que je me sente tomber, mais je me tiens sur mes deux jambes. C'est à moi d'avancer seule. 


- « Will... est-ce que vous savez ce que ça fait de bouillir de haine contre soi ? 

- Ce ne sont pas des pensées très responsives. Bon... j'en ai eu un temps, toutefois la Société a changé, j'ai changé aussi, donc tout va pour le mieux. »

Un dernier incendie dans la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant