Fragment 6 : Dessous le monde

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Fragment 6 : Dessous le monde


Je flotte entre deux eaux, les yeux embrumés. Le monde, si lointain, si vague. Je suis bien, légère, plus rien ne peut m'atteindre, plus aucune douleur. J'aimerais m'abandonner là jusqu'à la nuit. Ici, même le temps ne semble exister. Mais des couleurs criardes crépitent sur le côté. Une explosion silencieuse. Son onde m'envoie à la dérive. Quel dommage. J'émerge, me frotte le visage.

- « Alors, cette expérience ? me sourit le commercial qui me tend une serviette. La qualité de l'image, les effets 4DX bluffant et cet audio ! le tout nouveau 7.2 ! better qu'au cinéma, hein ?

- J'ai coupé le son, besoin de calme. 

- De..? de calme..? se déconcerte-t-il un instant. Oui... c'est votre droit ! Il y a justement des options spa et relaxing : mieux, des doctor fishs, pour une touche chic et tendance ! ou encore l'add-on « sol à induction » for cooking your poisson sans le sortir de son élément. Un must selon les associations de défenses des animals ! D'ailleurs, c'est dans cette mini-piscine connectée que Jonathan s'est vengé de Veronica en lui grillant le cul par surprise quand il a appris qu'elle l'avait trompé avec Johnson !

- De quoi ? 

- Jonathan Musk... ! devant mon air interrogatif, il ajoute comme une évidence : « Une famille really like no other ! » You know, c'est son père qui a inventé cet appareil en direct live lors la saison 6. Un crack, ce gars, un pur génie.

- D'accord... Non, mon frère voudrait un autre de ses objets. Un four qui fait lave-linge, ou un truc du genre. » 

Il a parfois des lubies. Je ne comprends pas, me contente d'hausser les sourcils. Si ces gadgets coûtent une fortune, ça reste son argent.

- « Un « four-lave-linge » ? Ah ! vous en avez de l'humour ! Vous devez parler du four intelligent multitask frigo-lave-vaisselle-micro-onde-smart TV ? C'est notre produit phare dans les nouveautés high-tech. Follow me ! » 

Un bloc noir, simple, sobre, doté d'un unique bouton rotatif. Pas laid, mais dénué d'intérêt.

- « Vous tournez d'un cran, c'est le mode four-micro-onde. Il cuisine tout en cinq minutes à la température adaptée. Nothing to do. Zéro préchauffage. Un cran de plus : mode frigo-congélo. Encore un cran, et hop ! le mode lave-vaisselle, smart-cleaning soixante secondes chrono ! Bluffant, hein ? Autonettoyant. Ensuite, la télécommande : accès à l'ensemble des chaînes satellites sous réserve d'abonnements, idem les plateformes de VOD, les jeux vidéo et en exclu gratuit pendant 1 mois les meilleures cooking channels, comme si votre appareil préparait un bon repas, jets d'odeurs intégrés ! »

Un poulet rissole devant moi, le parfum des rôtisseries me submerge.


Quelle étrangeté ! Ils nous l'ont installé gentiment à la place de l'ancien. Le commercial était déçu de ne m'avoir vendu aucune option, même pas les populaires « contrôle vocal » et « feu de cheminée ». 

Pour fêter ça, mon frère rentre avec une chèvre-miel prête à enfourner. Tandis qu'il part dans la salle de bain, je m'en charge. J'actionne le curseur, et soudain mes doigts dérapent, les cliquetis trop nombreux. Je me gèle, un bruit terrifiant ; je retourne vite sur la position d'arrêt. Ça n'a pas duré quatre secondes. J'ouvre. La pizza est un torchon trempé, couverte d'une couche de savon cristallin.

De plates excuses, un vent de colère, dont quelques bourrasques très violentes, et c'est lui qui regrette maintenant. Je me propose d'en acheter une nouvelle, il préfère y aller lui, afin que ça soit plus rapide. Il la met à chauffer, je dresse la table. Elle est bien, cuisson impeccable. 

- « Hum, soupire-t-il entre deux parts. Mon supérieur, qu'il était lourd aujourd'hui ! J'sais pas s'il est jaloux ou quoi, mais je lui ai dit pour le four, et trois fois, il m'a reproché d'avoir « des dépenses d'orgueil ».

- D'orgueil ? 

- Ouais. Parce que, tu vois, quand on est pauvre, on n'a pas le droit de se payer ce qu'on veut, et gnagnagna je suis pas responsable, et gnagnagna la cigale et la fourmi...

- Et lui, de quel droit, il s'immisce chez toi ? 

- Pff, un manager comme les autres. Le pire, c'est que beaucoup d'employés, qui dans son dos le traitent de con à longueur de journée, eh ben là, ils sont d'accord avec lui. Putain ! la révolution, qu'elle est loin ! On n'est pas sorti de l'auberge, hein. »

Un dernier incendie dans la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant