Fragment 5 : De guerre lasse

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Fragment 5 : De guerre lasse


Premier réveil sous ce toit, après huit vies. Mon frère bondit hors du lit. Un klaxon l'appelle : elle est arrivée. Je me traîne dehors, brisée de courbatures. Un camion l'a convoyée, la voiture du père, qu'il retape petit à petit, depuis des années. C'est sa passion, à l'obsession. Il la regarde débarquer plein d'amour, en saute de joie. Pas une fois, il n'est parvenu à la démarrer. Il y met ses espoirs, et tant d'économies, d'heures à chiner, serrer des boulons, graisser... C'est son rêve, un soir, de partir avec. Partir. Loin. Loin de ça. Et ne jamais revenir. Il s'accroche à cette idée. Que ses sacrifices d'aujourd'hui comptent.


- « Si je quitte pas trop tard, je passerai au centre commercial, annonce-t-il alors qu'il file travailler. 

- Idem. A plus. »

Le jour se perd dans le nettoyage, à briquer murs, linos et plafonds, jusqu'à l'impeccable. Je m'échine à extraire le four, manque de me blesser. J'inspecte, trie, purifie. Je découvre des souvenirs et des mystères. Le soleil décline déjà ; mon frère réapparaît, le cabas vide :

- « Tu as acheté des choses ? me demande-t-il. 

- Pas eu le temps, et il reste de la veille... »

Il soupire fort. 

- « Rooh ! s'agace-t-il. Je suis crevé, j'ai bûché de l'aube au crépuscule et c'est encore à moi de tout faire ! 

- Je dresse la table, répondis-je pour information. J'irai aux courses demain, sans faute. Un coup de réchaud et ça sera parfait. »

Il souffle à nouveau, s'affale sur un siège :

- « Bon, laisse-moi au moins me poser. 

- Oui, zéro souci. Je peux commencer à cuisiner. 

- Non ! je te connais : ça va prendre mille ans et finir en catastrophe et gâchis. »

Le lendemain, il repart au boulot, un brin à vif. Il fatigue petit à petit, mais il a la force de continuer, et une journée ou deux le remettent d'aplomb, même lorsqu'elles sont pleines d'activités ! Il m'épate. Quand je bosse, dès que je rentre, je plonge sous la couette, inerte, j'hiberne, et je n'ai pas assez pour récupérer. Je me terre d'autant plus. Un peu comme maintenant. Car maintenant je suis désespérée.

En début d'après-midi, soulagement : j'ai terminé, la maison est quasi irréprochable. À présent, les achats. J'en ai pas l'énergie, la puise dans l'idée, qu'ensuite, j'aurai droit au repos mérité.

Je sors. Du coin de l'œil, je la remarque. Je l'avais oubliée. Un ovale de bauxites. La tombe de Michat. Je découvre trois quatre pierres et, surprise, un bout de papier. Je lui écrivais souvent, une correspondance intime : j'ai longtemps cru tenir davantage du chat que de l'homme. La lettre est dans un état désastreux : le fragment qui reste a épousé la roche et l'encre a bavé. J'arrive juste à deviner quelques mots de mon gribouillage si vilain : « J'ai voulu me battre, n'ai jamais réussi. Un jour, il sera trop tard. »

L'ai-je donc toujours su ?

Un dernier incendie dans la nuitOù les histoires vivent. Découvrez maintenant