BLINDLY

𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟓

Louis

Je la vois arriver au bras d'Alec, et me mets à rêver que ça pourrait être moi, qui la guiderait dans ses couloirs. Comme elle l'avait fait pour moi, des années plus tôt, dans le trou noir qu'était ma vie.

Mieux vaut vivre avec des remords qu'avec des regrets n'est-ce pas ?

Ce mantra ne résonne en moi qu'en partie. Aussi, mieux vaut-il accepter les regrets, pour ne pas blesser les gens qu'on aime. Avec eux, la seule personne qu'on entaille, c'est nous-même.

Jamais je ne pourrais me montrer égoïste avec elle. Lui jeter un regard suffit à me faire bouillonner de l'intérieur. Putain, les années ne l'ont rendu que plus resplendissante. Je pourrais passer des heures à la regarder.

C'est comme si elle m'hypnotisait. Sur moi, elle exerce un pouvoir d'attraction que jamais personne n'a exercé. Et que personne n'exercera plus jamais.

Alors que je mesure au fils des minutes le poids des regrets qui m'habitent, je vois une femme d'un âge moyen arriver dans notre direction. Je comprends que c'est notre professeure principale.

Faites qu'elle soit sympa.

L'établissement privé Rivera est très exigeant et strict. On ne demande rien de moins que l'excellence. Et c'est très pesant. Je me souviens déjà qu'au lycée, j'avais du mal à tenir le rythme. Mais j'arrivais à rester à flot, grâce à elle.

Je lui dois tellement.

Penser à elle me ramène toujours à me remémorer notre rencontre.

Le jour qui a changé ma vie.

Le jour où le soleil s'est enfin levé dans ma nuit.

Flashback

Dix ans plus tôt.

— Non, il ne faut pas jouer avec lui ! Il est méchant et en plus, il porte tout le temps les mêmes habits. Ma mère m'a même dit qu'il avait des poux, dit-il la voix empreinte de jugement.

Les enfants sont méchants, surtout entre eux.

Je suis tellement en colère. La rancœur envahit l'ensemble de mes cellules. Elle me consume de l'intérieur et je veux juste que les gens me laissent tranquille, me laissent me reposer, juste quelques minutes. Je veux respirer un peu d'air frais pour évacuer toute cette haine qui bouillonne en moi.

Mais non, les autres ne l'entendent pas de cette manière. Et alors qu'ils me lancent des cailloux au visage, abîmant mon corps encore plus qu'il ne l'est déjà, une voix très aiguë perce les ténèbres qui m'envahissent.

— Mais qu'est-ce que vous faites ! Arrêtez ça tout de suite ! C'est méchant et je déteste les personnes méchantes ! Hurle-t-elle à pleins poumons.

Et comme si sa vie en dépendait, elle se place devant moi. Mais ça ne suffit pas à arrêter le lancer de cailloux des enfants. Elle s'en prend au visage, mais ne bouge pas d'un pouce.

Je suis là, tétanisé par ce qui se passe sous mes yeux. Qu'est-ce qu'elle fait ? Pourquoi est-ce qu'elle me protège ? Personne ne l'a jamais fait avant.

Personne.

Aucun enfant ne m'a jamais aidé. Ils préfèrent tous suivre le groupe. Par peur d'être la prochaine cible. Il faut beaucoup de courage pour ne pas se laisser intimider par les autres et suivre ses propres décisions.

Puis un autre sentiment éclot, l'admiration. Ce qu'elle fait pour moi, alors même qu'on ne se connaît pas me dépasse. Elle me protège des cailloux, mais pas seulement, elle me protège aussi de moi. Car sans son intervention, j'aurai répliqué.