𝐂𝐇𝐀𝐏𝐈𝐓𝐑𝐄 𝟐𝟑

7.7K 471 465
                                    

Vancouver, Canada

Louis

— C'est de pire en pire, confessé-je, meurtri.

Le regard dans le vide, l'esprit embrumé, les mains tremblantes, j'ouvre mon cœur et déverse mes peines ainsi que mes souffrances. Elles coulent à flots, me libérant petit à petit de mes maux.

— Ça recommence, déclaré-je, angoissé.

Elle m'observe d'un air neutre. Comme si rien ne pouvait jamais l'atteindre ou, plutôt, qu'elle ne devait pas se laisser atteindre. C'est son métier après tout, elle doit avoir l'habitude.

— Qu'est-ce qui recommence ? demande-t-elle ses iris bruns braqués sur moi.

Je plonge mes yeux dans les siens, pour m'ancrer à quelque chose et éviter à mes pensées de divaguer. Car toutes les excuses sont bonnes pour éviter de me confronter à mes tourments.

Pourtant, cela ne suffit pas. Je peine à réfléchir, ma vue se trouble et l'affreuse impression de quitter mon corps me traverse. Ce n'est pas le moment. Pour stopper la dissociation avant qu'elle ne me submerge, je fais tressauter ma jambe à toute vitesse.

Ce n'est que quand je me mets à claquer discrètement des doigts que je parviens enfin à revenir à la réalité.

— Les pertes de mémoires, annoncé-je tout en serrant les poings pour contenir mon anxiété.

Ma respiration s'accélère suite à cet aveu. Je me mords la lèvre pour contenir les marées de panique qui se déchaînent en moi. Ses sourcils se froncent, ses pupilles se dilatent. Ce que je viens de dire a capté son attention, mais pas comme je l'espérais.

— On en a déjà parlé Louis, c'est normal, m'informe ma psychologue d'un ton assuré.

Elle ne comprend pas ! Personne ne me comprend ! J'en ai marre d'avoir l'impression de perdre la tête. Pourquoi suis-je si différent des autres ? Un jour ce sentiment de dégoût de moi-même me quittera-t-il ?

Pourtant, malgré mes nombreuses plaintes et réticences, ces séances m'aident, je le sais. Il faut que je me calme et m'ouvre plus à la discussion. Il n'y a qu'en communiquant que l'on peut régler les problèmes, surtout dans ma situation.

— Je sais, commencé-je hésitant sur le fait d'insister. Mais... là, c'est grave. Ce n'est pas comme d'habitude.

Même si ça a toujours été présent, je perds de plus en plus le contrôle. J'ai peur que cela recommence comme il y a deux ans. Elle m'étudie à nouveau, avant de croiser ses jambes l'une sur l'autre. Tout en lissant sa robe déjà repassée, elle passe une mèche derrière son oreille. Le vert de sa tenue est magnifique, il m'hypnotise. Comme les yeux d'Aylin.

— Pourquoi ?

Soudain, la panique me submerge, je ne sais pas si je suis prêt à lui parler de ça. Si elle interprète mal mes paroles, cela pourrait se retourner contre moi. Et si elle pensait que c'était maman la responsable ? Et si elle appelait les services sociaux ?

Et si, et si, et si, et si, et si...

Des milliers de scénarios se jouent dans ma tête, plus cauchemardesque les uns que les autres. C'est horrible cette sensation d'être emprisonné dans son propre corps, dans sa propre tête. Comme s'ils ne nous appartiennent plus. Je crois que je n'arrive plus à respirer. Mais comme pour me sortir de cette boucle infernale, la psychologue pose sa main sur mon épaule avec douceur.

— Je suis là, Louis, m'informe-t-elle, avec un sourire chaleureux. Tu peux tout me dire.

Son ton rassurant m'apaise et mon regard s'accroche au sien. Petit à petit, mes poings se desserrent puis, progressivement, l'air circule à nouveau dans mes poumons. J'inspire et j'expire à plusieurs reprises. Je me sens mieux, je me sens prêt.

BLINDLYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant