5 - Harcèlement

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    J'arrive encore tremblante à mon club d'échecs. Je serre mon sac contre moi, pensant que cela aurait été épouvantable de perdre mon smartphone et ma carte d'identité. Je retrouve certains joueurs que je connais, même si ma partenaire préférée est absente. J'aurais dû lui envoyer un texto.

    — Tu es partante pour quoi aujourd'hui, Tess ? demande l'animateur. Un cours ?

    — Je préférerais faire une ou deux parties libres, Antonin.

    — Entendu. Partie libre, mais après tu feras une analyse de partie. Sinon tu ne progresseras jamais.

    — Chef, oui chef !

    Je me mets à l'aise en ôtant ma veste et je commence une partie contre Mehdi, dont le niveau est proche du mien. J'admire ce garçon, dont les copains ne jurent que par le football, qui passe outre le jugement des autres et vient au club régulièrement. Je m'amuse toujours lors d'une partie, mais je sais aussi que cette activité m'apporte beaucoup : une meilleure concentration, une forme de logique, une capacité d'anticipation et une prise de décision rapide.

    Mehdi me bat deux fois. Je retire ce que j'ai dit, je ne l'admire plus !

    — Tu perds tes nerfs à la fin, analyse Antonin, penché sur mon épaule. Tu maîtrises le début et après tu te laisses avoir.

    — Exact, grimacé-je, mécontente de moi-même.

    — La maîtrise de soi, Tess, tout est là !

    Je quitte bientôt le club pour rentrer avant la nuit, comme toujours. Les jours raccourcissent, ce qui rendra cet objectif de plus en plus difficile cet hiver. Tout en marchant, je repense à la scène du sac à main et je me sens vraiment mal à l'aise. Certes, en fait de violence, j'ai vécu bien pire. Cependant, je reste très sensible. Je me demande pourquoi cela m'arrive, à moi. Je voudrais ne plus jamais assister à ce genre de choses...

    Alors je ferais mieux de quitter cette planète !

    Une fois chez moi, je sens le stress retomber. Alors que je traverse le salon pour préparer le dîner, je vois une enveloppe glissée sous la porte d'entrée. Je me penche pour la prendre et je constate que ce n'est pas une enveloppe, ou un mot du syndic comme je l'ai cru un instant.

    C'est une simple feuille A4 pliée en deux. Dessus, une écriture manuscrite :

Tu peux me remercier pour ton sac.

    Choc brutal, comme une gifle.

    Je me précipite sur mon anxiolytique et j'en avale un. En attendant qu'il agisse, je m'allonge sur mon lit et j'entreprends des exercices de respiration. Inspirer sur quatre secondes, expirer sur six.

    Je n'ai pas encore pris ce rendez-vous avec ma psychologue. J'en ai plus que besoin, à présent.

    Non, pas avec ma psy. Un rendez-vous avec l'inspecteur Mallard. Je suis suivie, je suis harcelée, je suis en danger !

    Au bout d'une heure, je me sens mieux et je me relève. Je me sens alors capable de faire face et de me défendre. J'ai une pensée de remerciement pour ma prescription d'oxazépam. Pour stopper les crises d'angoisse, c'est un champion. Il s'ajoute à mon anxiolytique quotidien.

    Si le harceleur sort de l'ombre, je saurais le recevoir. J'ai été visée par une arme à feu, j'ai déjà été blessée par balle. Je ne me laisserais pas intimider par une feuille de papier pliée en deux.

    Je suis alors capable de préparer le dîner, de le porter à ma mère et d'en laisser une partie pour Ariane, à réchauffer quand elle rentrera. Ariane vit sa vie d'étudiante et n'hésite pas à sortir le soir avec ses amis. Elle est très sociable, elle est très entourée. Les difficultés qu'elle a rencontrées n'ont pas altéré sa nature joyeuse. Elle sait pertinemment qu'elle ne doit pas rentrer seule, mais à part cette règle élémentaire de survie, elle ne se laisse pas arrêter par la nuit. Au contraire de moi.

Que vengeance soit faite (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant