11 - Marseille entre le pire et le meilleur

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       Ariane me dévisage avec suspicion.

     — Je suis ravie que tu sois rentrée saine et sauve de tes mystérieuses expéditions, mais je voudrais savoir ce que tu fabriques.

     — Rien de spécial.

     — Tu ne m'envoies pas de texto quand tu vas faire les courses au supermarché. Quand tu le fais, c'est que tu sais que tu cours un risque. Alors, que fais-tu ? Et avec qui ?

     — Ariane...

     — Ton bel inconnu aux yeux verts ?

     — No comment.

     Ariane soupire et me lance un regard torve.

     — Très bien, garde tes secrets. J'espère que tu me parleras quand tu seras prête.

     En faisant voler sa jupe, elle regagne sa chambre. Je souris. Bien sûr, je lui raconterai tout, un jour. Pour l'instant, je suis au tout début de ma démarche. Inutile d'inquiéter ma sœur. Ariane a déjà la malchance de vivre dans une ville particulièrement violente.

     Marseille est la plus vieille ville de France. Elle a été fondée par les Grecs, comme Christos ne manque jamais de le rappeler à ses clients, il y a plus de quatre mille ans. Elle a un passé composé de moments brillants, et d'autres beaucoup plus sombres. La peste de 1720, le tragique incendie des Nouvelles Galeries en 1938, les quartiers rasés par les Nazis en 1943, d'autres par les Américains en 1944.

     Et, surtout, toute l'histoire qui a suivi la deuxième guerre mondiale, et que la France entière connaît. La ville gangrénée par la mafia, le trafic, les règlements de compte, les connexions entre le crime organisé et le monde politique.

     Pourtant, c'est une ville magnifique et pleine de caractère ! J'aime passionnément cet endroit où j'ai grandi. Je n'ai quasiment aucun souvenir de ma petite enfance parisienne. Jamais je ne me définis comme une Parisienne. De toute façon, il ne vaut mieux pas, surtout aux abords du Vélodrome.

     Je me connecte à internet et je décide de rafraîchir mes connaissances sur les réseaux mafieux qui tiennent la ville depuis la fin du XXe siècle.

     Réseaux, bandes, clans, cercles, gangs, des mots différents pour exprimer la même idée de criminels faisant des affaires aux dépens des intérêts de la population. Si les Marseillais ont bien conscience de ce qui se passe dans leur ville, ce n'est que dans les années soixante que la renommée devient nationale, voire mondiale. Lucky Luciano, le parrain new-yorkais en exil en Italie, a rapproché le trafic de drogue venu d'Asie aux consommateurs des États-Unis. Marseille devint alors le lieu de transformation d'héroïne avant son exportation à New York : la french connection.

     Cela me rappelle l'épisode de « Faites entrer l'accusé » dédié à cette affaire. Le gouvernement américain avait tapé du poing sur la table pour que la France se décide à lutter contre le trafic, car elle n'agissait pas. C'est aussi l'époque où le général de Gaulle laissait au maire Gaston Defferre les mains totalement libres pour ce qui avait trait à Marseille. « Pas votre meilleure manœuvre, mon Général », me dis-je en ouvrant un nouvel onglet sur le Bureau.

     Francis le Belge, surnom de Francis Vanverberghe, avait tenu le milieu italo-corse à Marseille, jusqu'à Aix-en-Provence. Sa mort en 2000 a signé la fin de la mafia « à l'ancienne ». L'influence a changé d'ethnie et de quartier ; le clan Berrahma, issu du Maghreb et des cités du Nord, se heurtait aux clans des Corses, des Comoriens et des Gitans, venus des quartiers de l'Est, comme « la Belle de Mai » d'où venait Francis le Belge lui-même.

Que vengeance soit faite (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant