24 - Manœuvres de déstabilisation

448 47 201
                                    

     Je soutiens son regard. Je ne me laisse pas facilement intimider, sinon je n'arriverais à rien à mon club d'échecs, où la majorité des joueurs sont des hommes plus âgés que moi.

     — Il faudrait savoir, j'ai des informations vagues ou cruciales ? demandé-je en me levant. Peut-être devrais-je parler à quelqu'un d'autre.

     Alors que je recule vers la porte du bureau, Mallard me retient prestement.

     — Allons, du calme. Excuse-moi si j'ai été brutal. J'ai peur pour toi.

     Comme je garde le silence, l'inspecteur insiste :

     — Je veux que tu continues à me parler. Ce sera pire dans le cas contraire. Très bien, je ne te demande plus d'où te viennent ces infos. J'espère que tu me le diras un jour. En attendant, continue à venir m'en faire part. D'accord ?

     Je hoche la tête et j'accepte de serrer la main qu'il me tend. Je préfère ça. Je ne veux pas parler à quelqu'un d'autre qui me bousculera davantage, probablement.

     — Bien, sourit Mallard. Nous revoilà bons amis ?

     — Bien sûr.

     Je sens bien qu'il est sincèrement inquiet. Peut-être que je le serais aussi un jour si ma stagiaire débarque avec un récit tout droit sorti d'un polar.

     Je sors de l'Évêché, en ayant presque l'impression d'avoir été en effet mise en garde à vue. Certes, c'est un peu exagéré. Une vraie garde à vue ne consiste pas en une simple conversation, mais en une succession de conversations déplaisantes. Cependant, c'est presque un interrogatoire que Mallard m'a fait subir. C'était pénible d'être ainsi tour à tour menacée et cajolée. Je suis désolée d'avoir à retenir des informations, car je ne veux pas perdre la confiance de cet inspecteur que j'estime beaucoup. Mais je ne peux pas parler de Max. Pas encore.

     Soudain, je me demande pourquoi je protège Max. Après tout, c'est un criminel. La mort du journaliste, pendu dans sa chambre, me reste en travers de la gorge. S'il est arrêté, là aussi, ça ne sera que justice. Oui, mais s'il est arrêté maintenant, il ne pourra plus rien me raconter. Il parlera à Mallard. Et encore, ce n'est pas sûr. Il m'a certifié qu'il ne parlerait à la police que le jour où Serrone et Berettini seront tous les deux derrière les barreaux ; sinon il signait son arrêt de mort. J'ai rencontré Serrone, alors je le crois. Je ne protège pas Max, je dois attendre pour révéler son rôle, c'est différent.

     Quand tout sera fini, je demanderai pardon à l'inspecteur pour toutes mes cachotteries. Je l'inviterai à dîner chez Christos...

     Sur le trottoir, un homme vient subitement se placer devant moi pour m'intercepter.

     — Mademoiselle Andreadis.

Je lève des yeux surpris sur cet inconnu. Il est vêtu d'un jean et d'un blouson de toile aux couleurs du Milan AC. Il est jeune encore, mais il a tellement l'air d'un mauvais garçon que c'en est risible. Le côté mal rasé, sans doute.

     — Que voulez-vous ?

     — Monsieur Serrone vous envoie ses salutations.

     Je me raidis de la tête aux pieds. J'espère que mon visage reste impassible et ne trahit pas que mon cœur vient de s'emballer comme un cheval échappé.

     — Naturellement, vous connaissez ce nom, n'est-ce pas ?

     — Je ne sais pas de qui vous parlez.

     Je vois un ricanement silencieux sur les lèvres de l'inconnu. C'est en effet une piètre défense. «Teresa Mougladis », le nom d'emprunt que j'ai donné à Serrone, est déjà morte et enterrée.

Que vengeance soit faite (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant