Rain : Faites ce que vous voulez, le ciel a déjà pleuré

Chapitre 3 : Marqué (1/2)

Mais que faisait donc cette fille toute seule au bar ?

C'était la question à laquelle il tentait désespérément de répondre depuis plusieurs minutes, sans vraiment y parvenir. Bon, pour être totalement honnête, c'était même un échec franc et pitoyable jusqu'ici. Non pas qu'il soit en manque d'hypothèses, loin de là. Mais elles lui paraissaient toutes plus alambiquées les unes que les autres. En soi, que cette fille soit là, accoudée au comptoir, à cette heure-ci, ce n'était pas vraiment anormal. Il venait juste de s'arrêter de pleuvoir, et les Protecteurs avaient fini de nettoyer les rues. Il était donc normal que les gens sortent de chez eux pour tenter d'oublier la Pluie et leur absence totale de liberté vis-à-vis d'elle. Normal. Mais qu'une fille comme elle, qui n'avait pas l'air de sortir beaucoup, débarque d'un coup, dans ce bar un peu louche, et demande à ce qu'on rajoute de l'eau de Pluie dans son verre déjà plein à ras bord d'alcool, ça, c'était loin d'être habituel. Non pas que l'eau de Pluie ait réellement des effets néfastes sur la santé, ça, personne n'en savait rien. Mais ça faisait partie du folklore populaire de penser qu'en boire pouvait finir par provoquer des transformations... Alors que la seule certitude, c'était que le goût était vraiment infect.

Mais la vraie question, c'était pourquoi il s'acharnait à s'interroger sur le compte de cette pauvre inconnue. Si elle lui avait tapé dans l'œil ? Même pas. Non, objectivement, il avait déjà couché avec des filles bien plus jolies. Et sans les payer. En plus celle-ci n'avait vraiment pas l'air d'une fille facile. Il n'avait qu'à regarder ses cheveux pour le comprendre. Les gens ne se doutent pas de tout ce que leurs cheveux racontent sur eux, c'est terrible. Surtout pour une jeune fille. Celle du comptoir, ça crevait les yeux qu'elle avait bossé dur toute la journée : elle avait encore les cheveux tous gondolés d'avoir été attachés un jour entier. Et puis ils étaient tous secs. Fatigués. Elle avait dû passer une très mauvaise journée. D'où le verre d'alcool. Mais pourquoi l'eau de Pluie en plus ?

Devait-il aller la voir ou non ? Ce serait intrusif de sa part. Un total manque de politesse et de discrétion. Mais en même temps, il se disait que ça pouvait être intéressant. Instructif. Peut-être même utile pour la jeune fille s'il parvenait à la faire rire un peu. Bon, il en doutait assez sérieusement. L'ambiance n'était pas à la franche rigolade dans ce genre de bar. Mais un sourire pourrait suffire, sans doute.

Sans qu'il s'en rende compte, il s'était déjà assis au comptoir à côté d'elle. Il commença à la fixer de façon outrageusement indiscrète. Mais elle ne remarquait rien. Elle fixait toujours son verre plein à ras bord, l'air de se demander si elle allait vraiment le boire ou non. Intéressant. Elle se demandait donc elle-même ce qu'elle faisait dans ce bar. Mais qu'est-ce qui avait bien pu l'amener ici ?

Il tenta de lui adresser la parole.

— Si j'étais vous, j'éviterais de boire ça.

Elle leva vaguement les yeux vers lui, l'air de ne pas comprendre.

— C'est dangereux pour la santé, vous savez. Du moins, c'est ce que disent les Protecteurs.

Elle sembla n'assimiler sa présence qu'à la mention des Protecteurs. Elle eut alors un geste convulsif, et serra le verre avec sa main aux ongles rongés jusqu'au sang. Elle balbutia :

— Cela ne vous regarde pas. Je fais ce que je veux.

Un temps.

— Et qui vous êtes d'abord ?!

Il appuya son coude sur la table et déposa sa tête sur l'accoudoir ainsi formé.

— Quelqu'un qui aime emmerder les gens au bar. Mais seulement pour leur bien, rassurez-vous.

Et sur ce, il avala d'une traite son verre d'alcool. Il avait profité de sa surprise ; elle avait légèrement relâché son étreinte sur le verre, le temps de comprendre le sens de sa réponse qui n'en n'avait pas. Il voulait être sûr qu'elle ne boive pas ce liquide infect. Et puis comme ça, au moins, il était certain d'avoir toute son attention.