Chapitre 7 : Protecteur (1/3)

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— Est-ce que je peux parler au Guide ?

Le Guide. Quelle absurdité. Ce nom l'insupportait au plus haut point. Comme si un humain pouvait se décréter guide d'un autre. Comme s'il pouvait les mener vers un monde meilleur. En même temps, le nom de Protecteur était suffisamment absurde à la base pour qu'un peu de non-sens de plus ou de moins ne le choque pas réellement. Protecteur... Tellement arrogant : on se place tel un chevalier servant prêt à secourir les demoiselles en détresse, alors que le monde n'est que boue et cendres de haine...

L'Opérateur commença à retirer son bras ensanglanté de la gaine d'aiguilles dans laquelle il devait le laisser, puis il regarda d'un œil torve celui qui lui parlait. Il ralentit aussitôt son geste, en arrivant à une lenteur insultante et provocatrice. Le Protecteur accoudé au comptoir ne s'en plaignit pas : il avait l'habitude. Il se contenta d'imaginer d'ores et déjà un moyen bas mais élégant de se venger, un projectile verbal franc et direct à lancer à travers le cœur et l'estime de son interlocuteur.

L'Opérateur daigna enfin ouvrir la bouche, mais pas complètement. Non. On risquerait de trop bien le comprendre s'il ne mâchonnait pas tous ses mots.

— Vous pouvez pas dire « s'il vous plaît », comme tout le monde ?

Puis il réinséra son bras dans les aiguilles et fit mine d'établir une liaison du Sang. Mais le Protecteur savait quoi faire.

— Oh, mais bien sûr cher monsieur, où avais-je la tête, quel étourdi je fais ! Puissiez-vous avoir l'amabilité courtoise et gracieuse de me faire cette faveur délicieuse et délicate de daigner...

— Ouais, ça va, je t'avais entendu la première fois !

Le Protecteur ne put s'empêcher de sourire. C'était une vengeance basse et mesquine, mais c'en était toutefois une très satisfaisante. Et après tout, ce n'était que justice : on l'avait rabroué et maltraité à cause de ses origines ; maintenant qu'il s'en allait, autant en profiter pour leur montrer à quel point il pouvait les exposer, ses origines, quand il le voulait vraiment...

— Certes, mais je ne sais toujours pas où se trouve le Guide...

— Il est pas là, il est devant le Stockage. Bon, tu me lâches maintenant ! Dégage !

Et sur ce, il tourna le dos au Protecteur, s'enfonçant encore plus dans l'obscurité du minuscule placard dans lequel il travaillait.

Le Protecteur resta cramponné au comptoir à fulminer de rage. Bien sûr, il aurait dû s'en douter... Pourquoi n'arrivait-il toujours pas à se faire à ce goût infect de mépris et de pitié qui lui emplissait la bouche ? Le Guide avait toujours été comme ça, il n'y avait pas de raison que ça change, même pour le jour de son départ...

Il mit un violent et magistral coup de pied dans le comptoir de l'Opérateur avant de sortir de la caserne de Protecteurs. Le Stockage, très bien... Comme toujours, le Guide tenait à le ridiculiser, et comme toujours, il allait devoir subir cela. Quoique... Cette fois-ci, il n'avait plus grand-chose à craindre. Non pas que l'autorité médiocre et risible du Guide lui inspire une frayeur quelconque ; mais il avait en horreur la façon dont le Guide utilisait le lien du Sang pour punir les recrues récalcitrantes. Cela, entre autres, le révoltait au plus haut point : que tout le monde trouve normal qu'un lien sensé être là pour unir et solidariser les Protecteurs en s'assurant qu'aucun ne serait jamais vraiment seul soit en réalité un instrument abject de discipline pour des commandants ratés... Et comment lutter contre cette douleur qui provenait de toutes les veines de son corps ? Abject, abject...

Il savait en plus parfaitement pourquoi le Stockage. Il y avait encore eu un nouveau massacre, la veille. Ce Stockage était une planque de Prophètes, la moitié du quartier le savait, et les Protecteurs ne faisaient rien. « Trop dangereux », « Ça sert à rien », « On peut rien y changer, pas nous... », « Et pourquoi c'est nous qui risquerai notre vie, hein? ». Risquerions, sombre crétin. Et parce que tu es un Protecteur, bordel de merde, sombre crétin. Et voilà, toutes ces brutes éclataient de leur rire gras à chaque fois que lui vomissait et se révoltait contre l'horreur de ce qu'il voyait chaque jour. Et encore, si ce n'était que voir... Mais rien n'était pire que la combinaison morbide de la puanteur de la pourriture, du bourdonnement des insectes charognards, de l'acidité du haut-le-cœur et de la moiteur de sa propre chair qui ne supportait pas ce spectacle... Abject...

Rain : Faites ce que vous voulez, le ciel a déjà pleuréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant