La lourde porte blindée s'ouvrit avec son grincement habituel. La jeune femme se laissa happer par l'ouverture. Puis la porte se referma, et avec elle emporta la lumière. Car cette partie du Centre était désespérément sombre. Les Marqués les plus sévères qui y étaient renfermés supportaient déjà à peine l'éclat des quelques Orbes disposées pour éclairer le chemin.
C'était son premier patient en phase de transformation terminale. C'est pourquoi elle n'avait que peu l'habitude de ce long couloir sombre bordé de cellules blindées. Ici l'humidité était quasiment insoutenable. On avait presque l'impression de pouvoir discerner les gouttelettes en suspension dans l'air. Elle réprima un frisson et avança. Elle cherchait la cellule. Au milieu de bruits dont elle ne voulait pas connaître l'origine. On l'avait prévenue. Quand elle pensait entendre un patient se jeter contre la porte, elle ne devait pas intervenir. Parce qu'il n'y avait aucun moyen de savoir s'il se jetait vraiment contre la porte pour la briser, ou s'il ne tentait pas seulement de s'arracher un membre douloureux.
Elle s'arrêta devant la cellule. Présenta son sang à la petite machine rouillée devant l'entrée. Elle entendit le roulement mécanique des rouages qui se mettaient en place dans la cellule, puis le glissement de la porte. A l'intérieur, son patient était attaché par des chaînes rétractables ancrées dans le mur.
Son aspect s'était encore détérioré. Déjà hier, il n'avait plus vraiment apparence humaine, mais là, cela en devenait terrifiant. On parvenait encore à distinguer les bras et les jambes, mais le nombre d'articulations n'était pas le bon. Elle s'approcha pour l'examiner en sortant son Orbe. Bien entendu, quand elle l'alluma, il poussa un gémissement et ferma ses yeux en convulsant. Elle s'approcha un peu plus. Il fallait qu'elle l'examine. Elle pointa l'Orbe vers sa poitrine.
— Mais qu'est-ce que...
Elle soupira en pointant volontairement l'Orbe vers les yeux de son patient.
— Je vous avais dit de ne pas gratter. Regardez, ça a empiré maintenant.
Nouveau soupir.
— Essayez au moins de ne pas bouger.
Elle inspira un grand coup, puis reporta son attention sur la mâchoire béante qui lui barrait le torse. Et surtout sur le bras qui en sortait. Si on pouvait appeler cela un bras. Elle aurait plutôt dit une extension osseuse se finissant en griffes, mais la forme n'évoquait pas un bras. Dire qu'hier encore, ce n'était qu'une protubérance osseuse. Elle ferma les yeux et essaya de ne pas penser à la manière dont il avait dû déchiqueter lui-même sa chaire et ses os sous l'impulsion de la souffrance.
En vain. L'odeur d'humain blessé qui infestait la cellule le lui rappelait en permanence.
Bon. Que faire ensuite ? Tenter de voir si ses fonctions cérébrales étaient altérées. Une fois l'apparence humaine disparue, la notion de conscience ne tardait pas à s'écrouler...
— Quel est votre nom ?
Il remua vaguement, mais ne répondit pas.
— Quel est votre nom ?
Pas même un grognement. Elle soupira.
— Vous savez, cela ne vous avance à rien de ne pas répondre. D'autant plus que si vous pouvez encore parler, vous feriez mieux d'en profiter.
Ça y est. Elle l'avait vue. La lueur d'intérêt dans son regard. Il comprenait donc ses paroles.
— Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi les Créatures deviennent folles ? Nos observations ont montré que leur raison décline dès l'instant où la parole disparaît. Comme si ce n'était pas assez de souffrir, elles ne peuvent alors plus en parler. Plus appeler à l'aide. Plus dire leur propre nom. C'est alors qu'elles ne font plus la différence entre leur être et leur souffrance. Et qu'elles deviennent folles. Ne pas me répondre, c'est être comme elles...
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Rain : Faites ce que vous voulez, le ciel a déjà pleuré
Science FictionDans un monde où regarder la Pluie tomber suffit à changer les humains en monstres, dix personnes se croisent et s'interpellent alors qu'ils cherchent un sens à leur vie. Certains embrassent pleinement la Pluie et la sauvagerie qu'elle apporte. D'au...