Chapitre 3 : Nolan

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Après un long soupir, je me cale contre le dossier de la chaise et la fais basculer sur ses deux pieds, mes jambes allongées sur le bureau. Dans la salle 102, attendent avec moi mes plus fidèles lieutenants, ceux qui me suivent à la trace et qui prétendent ne jamais me laisser tomber. Les tables ont été poussées contre les murs, un buffet au fond s'étale sur la largeur de la pièce. Des chaises ont été placées çà et là. Tout a été préparé dans le silence.

Ma meute a compris que gérer ce mentorat n'était pas ce que je désirais, mais comme me l'a répété mon père :

— Il est de votre devoir de représenter les Wolf ! De montrer que nous savons accueillir les autres garous. Aucun refus de votre part ne sera toléré.

Argh... sous ses airs avenants, Pierrick Wolf cache bien son jeu. Il sait comment me forcer, comme m'imposer des responsabilités que je ne désire pas. Je finis toujours par accepter. Parce que c'est mon rôle, en tant qu'alpha des loups-garous de la Wolf Academy. Je suis même pressenti pour succéder à mon père à la tête de notre groupe. Vaste programme ! Programme qui me donne envie de gerber. Certains jours plus que d'autres. Mais aujourd'hui, je cache mes sentiments, activité pour laquelle je suis devenu expert.

Depuis le départ pour l'armée de Gabriel, mon frère jumeau, j'ai dû prendre la relève. Et ça me rend dingue. Je croule sous les responsabilités, sans aucun moyen de m'y soustraire. Mon père ne le permettrait pas. Mes envies ? Elles n'ont pas leur place dans notre monde, selon lui.

Jeremy et Alec chahutent en plein milieu de la salle, devant Lena qui les rabroue. Ils s'approchent un peu trop dangereusement du buffet copieux et bien garni. Pour cette première année de mentorat, j'ai budget illimité. Tout est bon pour parfaire l'image de la Wolf Academy.

La pression internationale nous a poussés à ouvrir les portes de notre chère école. D'un point de vue personnel, j'ai trouvé l'initiative bonne : j'en avais assez de cette démarcation, de ne pouvoir marcher dans la rue sans sentir les regards de haine et de désapprobation des autres garous. Les anciens ont crié au scandale, mais je ne vois pas en quoi le savoir de cette université devrait être réservée à une élite. Nous avions besoin de cet élan de modernité.

Ça, c'est la partie officielle.

La presse, maintenue par des pots de vins, pour éviter la psychose, ne parle pas du groupuscule Free the Man*. Nous pensions que ce tas d'illuminés anglais ne toucherait pas nos côtes. Mais cet été, nous avons dénombré la disparition de six garous.

Notre nombre n'est pas aussi exponentiel qu'on pourrait croire. Pour tous garous, il est complexe d'engendrer une descendance. Ma mère a réussi l'exploit d'enfanter des jumeaux. J'ai également une demi-sœur, de l'union de mon père avec sa nouvelle femme. Mais notre famille reste une exception. Nous ne nous mélangeons pas, ou peu. Que ce soit avec les humains, ou même les autres espèces, pour préserver notre pureté. Si je me mettais en couple avec un garou autre qu'un loup, ma progéniture, si j'ai la chance d'en avoir, n'a que cinquante pour cent de chance de devenir elle-même un loup. Et si son sang de loup ne se révèle pas, il se perdra à tout jamais.

Pourquoi le sujet de la descendance est-elle clé ? Sans cela, les Wolf n'auraient jamais pu atteindre un niveau aussi élevé. Nous avons su préserver notre lignée.

Lignée que rejette ce groupuscule extrémiste. Bien sûr, personne n'a pu prouver qu'il était à l'origine de ces garous disparus, mais tous les signes les désignent comme coupables.

Il était donc primordial à la Wolf Academy d'ouvrir ses portes. Pour nous unir, pour montrer un front commun, pour prouver que nous ne sommes pas ces élitistes qu'on voudrait bien nous faire croire.

Encore que... lorsque je regarde les visages dépités, irrités, ou ennuyés des quelques membres de ma meute présente, j'imagine que personne n'apprécie la tâche qui lui est confié. Moi, le premier. J'aimerais me trouver partout, sauf ici, à cajoler des jeunes garous apeurés. Ma force et mon intellect ne serviraient-ils pas mieux notre communauté ? À mieux gérer ma meute pour éviter les conflits ? Mon autorité a déjà été remise en cause en fin d'année scolaire dernière, j'ai même failli y passer.

Alors, m'occuper du mentorat, c'est le cadet de mes soucis.

Lena s'approche de moi et pose ses fesses sur la table où j'ai installé mes jambes. J'évite de trop regarder son postérieur pour la fixer. Ses longs cheveux blonds s'étalent sur ses épaules, et sa gueule d'ange lui confère un charme magnétique. Elle a mis ses paumes à plat, se penchant suffisamment pour que j'aperçoive son décolleté pigeonnant. Le spectacle ne me déplait pas, mais je connais l'ambition de cette fille, qui voudrait devenir ma luna. Elle ne m'aime pas, moi, mais mon statut. Je pourrais passer un bon moment avec elle au lit, mais je n'ai aucune envie de lui donner cette fausse impression.

— Tes vacances se sont bien déroulées, Nolan ? me demande-t-elle, un sourire sur les lèvres.

Elle se veut agréable, mais ça ne fonctionne pas avec moi.

— Ouais, et toi ?

Je réponds avec nonchalance, sans curiosité apparente.

— Oh, j'ai visité New York avec mes parents, c'était fantastique !

Elle ne semble pas saisir mon désintérêt, puisqu'elle me détaille son voyage par le menu. Je soupire sans me cacher. Même avec ça, elle continue de me débiter tout ce qui lui est arrivé, de sa visite de Central Parc, à l'Empire State Building, ou encore du QG de l'association américaine des loups-garous, la fameuse AWWA**.

Dès qu'un premier individu entre dans la salle, je me lève aussitôt, manquant de faire tomber Lena qui s'était un peu trop penchée sur moi. Si avec ça, elle ne comprend pas qu'elle me casse les bonbons, pour rester poli, c'est qu'elle n'a pas une once de jugeote.


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*Surnommé FTM

**American Werewolf Association

Lune ArdenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant