Chapitre 14 : Nolan

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J'avoue ne pas être fier de mon attitude, mais cette altercation avec mon père m'a grandement irrité, et j'ai besoin d'aller courir pour détendre tous les muscles de mon corps. J'attrape mon sac à dos où j'y glisse mes vêtements. Et simplement vêtu de mon caleçon, dont la matière est issue de la technologie de la Wolf Academy, homologuée par l'une des sociétés que possèdent mon père, je sors et saute du haut des marches de l'entrée pour atterrir sur mes quatre pattes, métamorphosé en loup. J'amortis le choc sans moufter et ne perds pas une minute pour disparaître du château. Mon père ne va pas apprécier, mais que je sois présent ou non, il aura toujours quelque chose à dire.

Là, j'ai besoin de souffler. Un seul repas avec lui et ça y est, mon moral est tombé au niveau zéro. Je chasse mes idées noires pour prendre de la vitesse, contournée les maigres obstacles face à moi, barrières, rochers, arbres... et m'enfonce dans la forêt sans perdre de temps. Au bout de quelques minutes, j'ai déjà mis de côté les remontrances pour me concentrer sur l'effort physique.

Dans ma forme de loup, les odeurs et les bruits sont amplifiés, ce qui me permet de me mouvoir sans difficulté, malgré ma vue moins bonne qu'en tant qu'humain. J'ouvre la gueule, ma langue pend, je hume tout ce qui m'entoure. Je finis par ralentir quand je me trouve assez loin du château, sans ressentir la moindre fatigue.

Un insecte volant passe devant moi et je me mets à le chasser, sans toutefois le toucher. J'abois quand il disparaît un peu trop haut pour l'atteindre avec l'une de mes pattes, puis décide de m'allonger en me roulant sur le dos pour bien m'imprégner de l'herbe fraîche. Il faudra tout de même que j'inspecte mon corps quand je serai rentré : des tiques peuvent se glisser sous mon poil en se collant à moi dans ma forme humaine. On veille à ne pas en avoir sur nous, les plaies pourraient s'infecter et nous transmettre certaines maladies. Au demeurant, nous sommes plus résistants : nous souffrons rarement du froid.

Le soleil d'automne illumine un recoin démuni d'arbres et je m'installe à même le sol pour en profiter. La fatigue de la soirée d'hier et de ma mauvaise nuit s'est accumulée. Une petite sieste ne me ferait pas de mal. Et les siestes en tant que loup me sont les plus réparatrices.

Je me réveille au bout d'un temps indéfini. Si j'en crois la hauteur du soleil, 16 heures est déjà passé. Je dois m'activer pour aller voir Jade, comme je le désirais en me levant ce matin. Des excuses s'imposent. Si mon père apprenait que nous ne nous entendons pas bien, il risque encore de me réprimander. Même si bien sûr il ne m'en a pas parlé. Je dois tout deviner et tout anticiper.

Après m'être étiré – mon corps a apprécié cette pause salvatrice –, je me dirige vers le campus. Juste à quelques mètres de l'entrée, je décide de reprendre forme humaine dans un recoin. L'exhibition n'est pas encore acceptée, même ici. Je m'habille, mon sac sur le dos et prends la direction du dortoir de Jade. Étant son mentor, je sais où elle habite.

Je rencontre quelques loups et suis obligé de les saluer ou de leur demander comment ils vont. Un des inconvénients de mon statut d'alpha.

Quand j'arrive enfin au bâtiment de la Lune Ardente, j'envoie un texto à Jade.

« Salut, c'est Nolan. Je suis en bas de ton immeuble, tu peux venir, s'il te plait ? »

Adossé contre un tronc d'arbre, je l'attends, les bras croisés, fébrile. Mes yeux dérivent de l'écran de mon portable – noir – à la porte d'entrée. Mon stress monte d'un cran quand l'attente se prolonge. Elle est vraiment énervée à ce point ? Je pousse un souffle pour extirper la tension. J'ai l'impression que mes quelques heures dans ma forme de loup ne m'ont pas aidé à me détendre.

Au bout de dix minutes, toutefois, elle contredit tous mes pronostics en sortant enfin. Elle est habillée plus simplement qu'à son habitude : un large gilet gris ciel qui tombe jusqu'à mi-cuisses et qui recouvre un t-shirt noir à logo, un jean foncé, et des baskets. Je retiens un sourire lorsque j'avise ses cheveux courts qui rebiquent. J'ai dû la prendre par surprise avec mon texto. Elle n'a pas pris le temps de se préparer correctement. Et vu l'air agacé qu'elle arbore, elle n'a pas apprécié. Sa tête se lève : ses yeux m'aperçoivent et ses pas la mènent vers moi, poings serrés, comme si elle allait m'affronter sur un ring. Ça me désole que notre amitié – si on peut parler d'amitié entre nous – soit si fragile.

— Salut ! lui lancé-je en levant une main.

— Salut, bredouille-t-elle. Tu veux quoi ?

Ouais, elle est très irritée...

— Euh... je voudrais m'excuser pour mon attitude de la veille.

Elle se redresse et me fixe, bouche fermée.

— J'ai compris que nos soirées peuvent choquer certaines personnes, continué-je. Je ne voulais pas me parader, comme tu sembles le prétendre, mais...

Je me mords la lèvre inférieure, ne sachant si je lui dois la vérité ou non. Pourtant, tout me pousse à lui faire confiance. Je déglutis, puis souffle avant de reprendre.

— Ça fait partie de mon rôle. Tout comme rabrouer des loups récalcitrants. Sache qu'ils méritaient l'humiliation qu'ils ont subi. Ils ont commis des choses inacceptables pour ma meute et moi. Désolé de m'être emporté. Mais... mes frères, c'est ce qui compte pour moi. En tout cas, on attend de moi que je la protège. Voilà, c'est tout ce que je voulais te dire.

Jade expire, tête baissée, comme si une réponse pourrait être écrite sur le sol. Elle finit par redresser le menton. Je ne lis plus l'agacement dans son regard, juste de la lassitude. Là encore, ma poitrine se comprime malgré moi.

— Tu n'as pas à t'excuser, je n'aurais pas dû vous juger, toi et les tiens.

Les miens ? Ce mot résonne si faux dans ma tête...

— Je suis désolée pour ça. Et... s'il te plait, ne m'invite plus à ce genre de soirées, ce n'est pas pour moi.

Ma déception doit se lire sur mon visage, car elle reprend.

— J'insiste sur « ce genre de soirées ». Je n'aime pas ça.

— Est-ce que ça voudrait dire que tu accepterais autre chose ? Genre, une sortie ? m'étonné-je, le sourcil arqué.

Je ne comprends pas vraiment ce qu'elle veut dire.

— Non, pas du tout. Ce n'est pas ce que je voulais dire ! Bref, je suis désolée, toi aussi, on est quittes, maintenant, je vais euh... rentrer au dortoir. On se voit... la semaine prochaine ?

— Oui... on organise une soirée jeux mercredi, histoire de briser la glace. Ça te dit ?

— Il y aura tous tes loups ?

— Juste les mentors avec les mentorés, c'est pour faire connaissance.

— Hum... d'accord...

Son sourire me semble forcé. Elle finit par tourner les talons et me laisse. Je ne sais pas pourquoi, mais un poids me noue l'estomac. Jade veut mettre une barrière entre nous et je me rends compte que j'aimerais la briser.

Lune ArdenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant