Chapitre 30 : Jade

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Malgré mon épuisement, j'ai eu du mal à m'endormir. Les images du corps d'Olivier superposés à ceux de Sofia et Antoine me revenaient sans cesse. J'ai fini par m'écrouler de fatigue. Lorsqu'on tape à ma porte, m'extirper de mon lit me demande ma pleine concentration. La voix grondante de Nolan traverse le battant.

— Jade ! On se retrouve dans trente minutes dans le hall. Si tu veux prendre un petit-déjeuner, c'est maintenant !

Pas de bonjour ni de comment ça va, je dois me lever. Heureusement, j'ai droit à une salle de bain personnelle et aucune colocataire de dortoir pour venir me hurler de sortir de la douche. J'en profite un maximum. De toute manière, mon cerveau n'aurait pas pu se réveiller autrement, qu'avec ses dix minutes sous une eau brûlante.

Quand j'arrive dans la salle à manger, je pense avoir meilleure mine qu'au réveil, même si j'ai toujours l'impression qu'un camion m'a roulé dessus. Seul Nolan s'y trouve en train de manger des toasts avec un café. Aucune présence de ses parents, de sa sœur ou même de Gabriel ou de son oncle. Pour ces derniers, j'imagine qu'ils sont allés dormir dans le dortoir qui leur a été alloué. En tout cas, Gabriel ne semblait pas vouloir rester plus longtemps ici.

— Bonjour !

Nolan me répond dans un grognement. Je ne comprends plus son attitude. Il y a encore vingt-quatre heures, il me prenait dans ses bras pour me consoler, et là, il me fait la gueule. Je n'ose toutefois lui redemander ses raisons. Si c'est pour qu'il m'envoie bouler, je préfère éviter.

Après avoir bu un jus d'orange et mangé une tartine, je le suis à l'extérieur et nous voilà partis pour deux heures de marche. Il n'a pas plu et le sol est praticable. Le soleil arrive même à percer à travers les arbres touffus. Et les oiseaux chantonnent sans se soucier de notre présence. Comme la veille, au petit matin, mon cœur s'apaise, environné par cette nature. Mon guépard remue en moi, mais cette fois, je le laisse venir, m'approcher, me toucher, me humer. Je ne tente pas de l'attraper pour l'obliger à me métamorphoser. Comme me l'a dit Nolan, je ne brûle pas les étapes.

Là, j'inspire, j'expire, je vide mon esprit. Et même si nous marchons, je repense à notre exercice de la veille et tente de rester concentrée. Le silence ne me semble plus si oppressant. Je ne ressens même plus l'agacement de Nolan. Ou alors, lui aussi a commencé à s'apaiser dans cet environnement ?

Au bout d'une heure de marche, de la sueur perle sur mon front, dû à la chaleur montante et à notre avancée rapide. Je talonne mon compagnon sans m'interroger sur le chemin. Je me rends compte que je lui fais entièrement confiance. À mon arrivée, s'il m'avait proposée de m'emmener ici, j'aurais refusé. Mais il s'est passé tant de choses en si peu de temps que tout paraît avoir changé. Mes perspectives dans ce campus, ma relation avec lui et les autres, moi... Étrange sensation...

Les arbres se raréfient peu à peu et quand apparaît enfin une large étendue d'eau. Je note un ponton ainsi qu'une barque. Est-ce que Nolan vient se prélasser ici l'été ? Vient-il nager dedans ? Comme s'il avait entendu mes questions, il parle sans même que je demande.

— J'aime venir ici quand il fait beau, m'indique-t-il. L'eau est si claire et pure que j'y nage l'été. Là, elle est trouble, mais c'est à cause du temps changeant. Au printemps, si tu veux, on y retournera et on pourra s'y baigner.

Bizarre qu'il me fasse une telle proposition. Je le dévisage, surprise par son changement d'attitude. Je me rends compte que notre marche semble avoir été salvatrice pour lui, ses traits bien plus apaisés que ce matin, ou la veille.

Nous finissons par nous asseoir sur le ponton, les pieds dans le vide. Les mains tendues derrière mon dos pour me retenir, je lève la tête et ferme les yeux, savourant les rayons de soleil sur ma peau. De nouveau, j'apaise ma respiration. La présence de Nolan à côté de moi ne me dérange pas. Au contraire, elle me paraît si normale, si naturelle. Nos espèces ne se ressemblent pas, elles sont même très éloignées, pourtant, j'éprouve une complicité. Nous connaissons des choses sur nous que d'autres ne sauront jamais. C'est sûrement ce qui fait toute la différence.

Lune ArdenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant