Chapitre 74 : Jade

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TW : mention de sang, scène de combat


Mes membres rétrécissent pour devenir l'animal que je représente : une guépard. Ma gueule s'ouvre pour me familiariser à toutes les odeurs. Le sang me terrifie toujours, mais plus aussi fortement qu'avant. D'un coup de patte arrière, je m'élance. Mon regard avise Nolan allongé sur le sol, des grondements de douleur sortant de son corps, du sang s'écoulant de ses plaies bien trop nombreuses à mon goût.

La créature qui se trouvait à quelques mètres remarque la faiblesse de son adversaire et son regard s'illumine. Elle pense avoir gagné, mais je suis là maintenant.

Le loup relève son museau et croit sa dernière heure arrivée, je le sens même baisser les armes.

Non ! Nolan ne peut pas échouer ! Il ne doit pas vouloir mourir, alors qu'il lui reste tant de choses à vivre.

Idiot ! lancé-je d'une impulsion de mon cerveau. Relève-toi !

Il met du temps à comprendre que je lui parle directement. C'est la première fois, c'est même ma première connexion avec un garou d'une autre espèce. Mes cours me semblaient trop théoriques, mais finalement, j'ai réussir à saisir les contours de la langue.

Relève-toi ! répété-je alors que je le sens dériver.

Je le dépasse et déboule sur la créature. Malgré ma petite taille, je suis rapide et réussis à esquiver ses griffes longues et tranchantes quand elle m'aperçoit. Un râle de frustration sort de sa gorge alors qu'elle tente de m'attraper, mais je la déstabilise en tournant autour d'elle, tout en lui assenant des coups bien ciblés. Sur ses blessures qui saignent abondamment. Sur les endroits les plus sensibles, proche de sa gorge, ou sur ses jambes d'humain. Ces dernières semblent d'ailleurs plus faibles, elles la gênent même, car elle ne peut sauter ou courir, comme moi, je le fais.

Mon cerveau est trop concentré par les attaques pour tenter d'analyser quoi que ce soit. Tout d'abord, Nolan et moi devons ressortir vivants de cet affrontement ! C'est ma seule préoccupation.

Un aboiement me prévient et je me jette sur le côté alors que le loup arrive à agripper la créature au niveau de son garrot. Ses mâchoires se referment dessus et ne le lâchent plus, même si le monstre se secoue pour essayer de l'en déloger. J'en profite pour mordre ses pattes arrières et lui infliger encore plus de blessures.

Un râle, tel un glapissement de douleur, sort de ce corps difforme. Si je ne pensais pas à ma vie, et à toutes celles que cette chose a prise, je pourrais ressentir de l'empathie. Je n'en ai pourtant pas. Nous devons abattre cette créature, ou en tout cas, faire en sorte qu'elle ne puisse plus blesser qui que ce soit.

Du sang goûte sur le sol et je glisse malgré moi. Elle en profite pour me donner un coup sur la tête, sans pourtant mettre ses griffes. Je suis sonnée pendant un court instant et m'oblige à reculer du combat le temps de reprendre pleinement conscience.

Nolan la lâche enfin, après une énième secousse, fatigué par cette prise et sûrement par toutes les blessures qu'il a reçues.

Je me relève aussitôt et grogne en montrant les dents, le dos rond, pour paraître plus grande. La créature se tourne vers moi et semble s'interroger. Est-elle dotée d'une conscience comme nous ? Aucune idée. Une lueur paraît s'illuminer de nouveau dans son regard. Et alors que je pensais qu'elle me foncerait dessus, elle recule, puis court vers la forêt afin de s'enfuir.

L'adrénaline parcourant toutes les parcelles de ma peau, je m'apprête à le courser - pas question qu'elle nous échappe -, mais une plainte et un affaissement sur le sol interrompent mon élan. Quand je découvre Nolan, étalé de tout son long, les yeux fermés, redevenu humain, je me rends compte qu'il est allé au bout de ses forces. Je me transforme à mon tour et me précipite vers lui, le coeur palpitant. Je croise les doigts pour qu'il ne soit qu'évanoui et espère que la créature n'a pas fait plus de dégâts. Tout de même, à la lueur du soleil qui se lève peu à peu, je vois le sang à travers ses vêtements déchirés. Des blessures partout sur sa peau. Ma poitrine se contracte et je touche son pouls pour m'assurer qu'il est bien toujours vivant. Une faible pulsation me répond.

Après un soupir de soulagement, je me tourne vers l'étudiant qui claudique vers nous, en maintenant la serviette sur son torse. Il ne semble pas aussi blessé que Nolan. Je sonde mon corps et note que mes muscles me tiraillent, ma tête est légèrement alourdie, mais je ne me sens pas mal.

— As-tu appelé une ambulance ? l'interrogé-je.

— Oui, ils vont venir incessamment sous peu, souffle-t-il. L'Escouade aussi !

Je ne souhaite pas bouger Nolan, de peur d'aggraver ses blessures, je sors juste un plaid de mon sac à dos pour l'envelopper et lui éviter de prendre froid. C'est peut-être risible, mais c'est tout ce que je peux faire, en attendant l'arrivée des secours. Un instant les yeux fermés, je reprends mon souffle. Nous sommes sauvés... Enfin... je sonde les alentours, vers l'endroit où la créature a disparu, dans la forêt, et me demande si les pisteurs de l'Escouade seront capables de la retrouver. Il serait temps ! Pour mettre un terme à ses agissements. Qu'était-ce ? Je me tourne vers le garçon.

— Tu t'appelles comment ?

Il me fixe quelques instants avant de hocher la tête.

— Emmanuel.

— Tu connaissais Olivier ?

Ma question le surprend.

— Je t'ai vu déposer une gerbe de fleurs, pas loin d'ici et aussi, je t'ai remarqué à l'enterrement.

Il acquiesce de nouveau, les yeux plus humides que la minute d'avant.

— Je l'aimais beaucoup... murmure-t-il. Sa mort m'a touché...

— Pourquoi la créature t'a-t-elle attaqué ? Que faisais-tu dans le coin à une heure aussi matinale ?

— Ça fait des semaines que j'enquête sur elle.

Mes yeux s'agrandissent de stupeur. Lui aussi investiguait sur cette chose ?

— Je savais qu'elle allait réapparaître, à un moment ou un autre. Comme les meurtres se sont déroulés à l'approche ou juste après la pleine lune, je restais à chaque fois vigilant. J'ai aussi remarqué que c'était toujours dans ce coin, vers ce dortoir.

Il montre la Lune Ardente du menton. Mon souffle se raréfie. Qu'entend-il par-là ? Que la créature viendrait de notre dortoir ? Mon palpitant s'accélère.

— Donc, j'étais à l'affût. Malheureusement... je me suis retrouvé face à elle ce matin... je croyais ma dernière heure arriver. Mais vous êtes venus ! Merci infiniment.

Ses mains agrippent les miennes pour les serrer. Dans son regard, toujours humide, j'y lis une grande reconnaissance. J'y mets la même impulsion, ravie qu'il soit hors de danger.

Des bruits de pas, ainsi qu'une sirène d'ambulance, attirent notre attention.

Les secours vont pouvoir prendre en charge Nolan. Lorsque j'avise Gabriel qui court vers moi, je me précipite pour l'enlacer.

C'est terminé. Oui, terminé.

Lune ArdenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant