Chapitre 23 : Nolan

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J'ai à peine dormi deux heures en moins de trente-six heures. Si ça continue, je vais m'effondrer sur le sol, mais je dois tenir. Parce que je suis l'alpha, je dois montrer l'exemple. Parce que je suis le fils du directeur, je dois faire front commun avec mon père. Parce que je suis un Wolf, personne n'acceptera que je flanche aujourd'hui. Alors, je persiste, même si mon corps me hurle sa fatigue.

Lors de la réunion avec les mentors, tous mes loups arboraient un air grave. Même s'ils n'avaient pas conscience de l'impact de ce meurtre sur nous tous, ils ont compris que plus jamais la vie au campus ne serait comme avant.

Avec l'infirmière de l'université, nous avons décidé d'ouvrir une cellule de crise avec un numéro unique à appeler en cas de besoin : pour en parler, pour pleurer la mort d'Olivier – même si peu le connaissaient –, pour exorciser ce dont on a été témoin. Pour les mentors, leur place est primordiale : ils doivent rassurer nos nouveaux garous. Pour l'instant, je n'ai pas entendu parler d'étudiants qui quittaient l'école, mais cela ne m'étonnerait pas. Je leur ai à tous demandé d'être vigilants et présents pour eux.

Ensuite, il m'a fallu tenir une réunion avec les membres les plus gradés de ma meute afin de partager ce que je savais autour de l'affaire – ou je ne savais pas. Sans y mettre les mots, ils ont saisi que notre communauté serait les premiers suspectés : la Wolf Academy a traîné des pieds pendant des années avant d'ouvrir ses portes. Des voix risquent de s'élever dès que le public sera au courant de cet effroyable crime.

Quelques-uns m'ont demandé si le campus allait fermer. Il n'en est pas question, à priori, mais j'attends tout de même l'assemblée de cette fin d'après-midi. Mon père nous reportera la décision du conseil d'administration. À mon avis, ce dernier voudra continuer. J'espère tout de même que la sécurité sera renforcée afin de garantir à tous une vie paisible. Je croise les doigts pour que cet événement ne soit qu'unique et que nous n'avons pas affaire à un tueur en série. Tout de suite, les grands mots ! Peut-être n'est-ce qu'un rival d'Olivier qui s'est emporté, après la pleine lune ? Ou bien, a-t-il un passif avec un garou qui l'aurait entraîné vers cette fin macabre ? Il n'était dans cette université que depuis deux semaines, les rares amis qu'ils s'étaient faits ne m'ont pas paru suspects. Ils ont tous été entendus par la police, mais j'imagine que rien de significatif n'a été relevé. En tout cas, aucune arrestation pour le moment.

Ce qui m'inquiète, c'est l'arrivée imminente de l'Escouade de la Nouvelle Lune. J'ai peu côtoyé mon oncle, mais j'ai gardé de lui une image inflexible et sévère. Il ne s'est jamais bien entendu avec mon père, et il est certain que Gabriel a souhaité se rapprocher de Vincent, au début au moins, pour irriter notre paternel. Ce n'était pas l'unique raisons, mais le connaissant, ce serait bien son genre.

Quand cette unité spéciale est appelée, cela n'annonce rien de bon. Elle est connue pour son intransigeance, mais on parle d'un meurtre ici : mon père était obligé de la prévenir.

Avant de sortir de ma chambre, je décide de prendre une douche, la première depuis la veille. J'étais bien trop épuisé lorsque je me suis allongé pour penser à ce besoin primaire. Je crois même n'avoir rien avalé de la journée. Alors que l'eau ruisselle sur ma peau, mon estomac se réveille à cet instant. Je note que mes jambes flageolent un peu, dû autant à la fatigue qu'à ma faim.

Je m'habille prestement et me rends à la cuisine du dortoir. En m'y dirigeant, je note des garous en groupe ou esseulés, les mines tristes, les épaules affaissées. D'ordinaire, le weekend, on entend du bruit partout, de la musique, des rires. Aujourd'hui, tout le monde est en deuil. Je me prépare plusieurs sandwichs que je fourre dans mon sac à dos, puis sors du bâtiment. Jeremy et Alec, les inséparables, m'ont interpelé de la salle commune, mais je leur ai dit que mon père avait besoin de moi avant le discours.

J'ai menti. Pourquoi ? Parce qu'en cuisinant, je me suis rappelé la tristesse de Jade, ses pleurs contre mon épaule, son corps tremblant contre moi. Je suis certain qu'elle n'a pas non plus mangé de la journée et j'ai soudain eu l'envie de la voir pour qu'elle se nourrisse au moins de l'un de mes sandwichs.

Alors que je m'avance vers la Lune Ardente, je me mords la lèvre inférieure. Des sentiments divers me traversent : beaucoup de tristesse, oui. Même si je ne connaissais pas bien Olivier, il ne méritait pas cette fin. Bizarrement, une émotion que je n'ai pas envie d'analyser m'a envahi : quand Jade était contre moi, j'avais tout sauf envie de la quitter. Au contraire, sa peine me touchait plus que je ne le pensais. Je ne souhaitais qu'une chose : réussir à la réconforter, à la rassurer, à lui prouver que tout irait bien. En soi, j'ai à cœur que la vie de tous – garous de ma meute ou non – à la Wolf Academy se déroule le plus parfaitement possible. Pour Jade, c'est différent, quand elle s'est séparée de moi, j'ai failli la reprendre dans mes bras pour ne plus la lâcher.

Pas parce que j'avais besoin de réconfort.

Parce que je la désirais...

Je secoue la tête : non, je ne dois même pas y songer ! Jade et moi, c'est impossible. Je suis l'alpha de ma meute, elle est une guépard-garou. Aucun loup ne l'acceptera. Encore moins mon père... Je pourrai sortir avec elle, juste quelques mois, quelque temps, sans penser à l'avenir, mais... je crois qu'avec elle, ce ne sera jamais qu'une simple relation. J'imagine bien plus. Je veux plus ! Est-ce que je l'aime ? C'est bien trop tôt pour le dire, mais elle me plaît énormément. Et j'ai du mal à comprendre ce sentiment. Pourquoi ? Pourquoi elle en particulier ?

Vraiment, je ne saisis pas.

Je me sens comme un con à aller la voir pour lui donner à manger. Mais c'est hors de mon contrôle. Je dois m'assurer de sa santé. C'est mon devoir. En tant qu'alpha. En tant que mentor. En tant qu'ami ? Ce mot résonne de manière amère dans la bouche. Je ne veux pas être qu'un simple ami... Je ne m'y ferai pas. Alors, quoi ?

Rien, Nolan, me souffle une voix. Il n'y aura rien !

Mon cœur tressaille et je décide de ne plus y penser pour l'instant. Peut-être que ce sentiment n'est que passager. Parce que je me sens seul. Parce que le poids des responsabilités me pèse et que j'ai besoin d'une distraction. Parce que ça fait longtemps que je n'ai rien fait avec personne. Peut-être que je devrais coucher avec une nana. N'importe laquelle ferait l'affaire. Ouais, ce n'est pas très respectueux pour la gent féminine, mais parfois, le corps a ses besoins... Et si chaque partie est consentante, je ne vois pas le problème.

Seulement... ai-je vraiment envie de ça ?

Lune ArdenteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant